Dîner avec L’île à midi
Entretien avec Philippe Prouff, réalisateur de L’île à midi
Avez-vous fait des recherches sur le métier de steward, et les conditions de travail, avant de réaliser L’île à Midi ?
Absolument. Comme pour chacun de mes tournages, je me documente énormément car même si je ne fais pas du documentaire, je tiens à ce que le contexte de mes fictions soit le plus réaliste possible. Il me semble indispensable en tant que spectateur de ne pas relever d’invraisemblance qui me déconnecte de l’histoire qu’on me raconte. J’ai contacté un steward qui m’a appris les nombreux détails relatifs aux habitudes des personnels navigants, leur mode de vie, leurs rapports aux passagers. Il a également relu le scénario avant le tournage pour pointer les éventuelles incohérences et suggérer des changements de dialogues pour les rendre encore plus crédibles.
Êtes-vous habitué des voyages, aimez-vous voyager ? Pensez-vous que le voyage est autant une quête d’ailleurs qu’une quête intérieure ?
Je suis un grand voyageur, j’ai posé le pied sur de nombreux continents, le plus souvent dans des endroits reculés et difficiles d’accès pour chercher la solitude ou juste le calme propice à la réflexion et à l’écriture. Ces lieux nourrissent mon imaginaire et parfois deviennent même les lieux de mes fictions. C’est évidemment autant une quête d’ailleurs qu’une quête intérieure puisque c’est souvent le fait de vivre une aventure humaine ou géographique qui me permet ensuite de cheminer vers la fiction.
Et pourquoi l’avion, le voyez-vous comme un simple moyen de transport ou comme une avancée technologique unique en son genre ?
En l’occurrence, je n’ai fait que reprendre le moyen de transport évoqué par Julio Cortazar dans la nouvelle qui a inspiré le film.
Dans L’île à Midi, vos personnages féminins semblent tous s’intéresser au personnage principal qui, lui, ne leur porte pas d’attention à part pour l’assouvissement de ses propres désirs. Souhaitiez-vous évoquer la thématique du détachement affectif contemporain ou est-ce simplement une conséquence secondaire de son attachement à Xiros ?
Les deux sentiments sont étroitement liés. Le personnage principal, (qui s’appelle Marini bien qu’il ne soit volontairement jamais nommé dans le film), devient progressivement obnubilé par Xiros tout en devenant totalement insensible aux personnes qui l’entourent. Marini incarne un beau sans âme, perdu dans un métier où il reproduit de manière mécanique des sourires artificiels. Handicapé par sa propre beauté qui attire pour elle seule, il est et se sent justement vide. L’île devient un substitut à ce vide et c’est précisément cette idée de la solitude et de l’épanouissement dans la fuite que je voulais traiter et qui me semble d’actualité.
Dans L’île à Midi, votre personnage principal ne semble pas avoir de groupe d’amis avec lequel partir à plusieurs. Avez-vous considéré cette question dans la réalisation et pourquoi ce choix de montrer le personnage fantasmer sur l’idée de partir seul ?
Cela me semblait être une évidence. Cet homme se trouve face à des questions et des problématiques complexes qui l’écrasent et ce voyage vers Xiros est avant tout une fuite en avant. Il ne pouvait que partir seul.
Utilisez-vous les réseaux sociaux ? Avez-vous de la même manière considéré le rapport du personnage principal à l’utilisation d’Internet, car il ne semble pas avoir de compte en ligne par lequel des amis virtuels suivraient son quotidien ?
Je n’utilise pas les réseaux sociaux à l’exception de sites professionnels pour présenter mon travail. Cela ne m’a pas effleuré l’idée au moment de l’écriture de l’histoire. Sans doute parce que l’utilisation des réseaux sociaux intensive peut traduire paradoxalement une grande solitude, mais elle demande malgré tout de fournir un effort d’expression de soi que le personnage de Marini n’est pas à même de fournir.
J’ai vu de nombreuses significations de midi en résonance avec le film. Entre autres, midi est l’horaire qui marque la fin d’un cycle, celui de la matinée, et le début d’un autre, celui de l’après-midi. Cette notion de cycle et des répétitions est-elle une thématique que vous affectionnez de manière générale ?
Dans ce cas précis, midi est surtout l’heure à laquelle le soleil est au zénith, et bien que ce soit Cortazar avant moi qui ait décidé de cet horaire, j’ai voulu exploiter cette position particulière du soleil comme ressort dramatique de mon histoire, notamment dans une des dernières scènes dans laquelle l’image de Marini se fond dans les rayons de lumière. Les notions de cycles et de répétitions sont en effet très importantes dans mon travail. J’ai à ce titre volontairement brouillé les pistes sur la temporalité de l’histoire que raconte L’île à Midi, en plaçant ça et là des plans qui en questionnent la chronologie. J’ai par ailleurs traité de manière frontale la thématique du cycle dans un de mes précédents films, Waster, qui s’inspirait du mythe de Sisyphe.
Avez-vous voyagé sur des îles et aimez-vous particulièrement cet environnement ? En tant que réalisateur, quel est l’aspect que vous trouvez le plus intéressant parmi ceux offerts par l’île : la limitation des conditions de vie liées à l’isolement, le principe social de micro-communauté ou le sentiment de suspension du déroulement du temps ?
Je suis un très grand amateur d’îles depuis mon enfance passée sur l’une d’elles. Et j’ai voyagé sur de nombreuses autres, volontairement pas les plus touristiques, depuis les îles d’Aran en Irlande aux îles Féroé en passant par un confetti de l’océan atlantique nommé Tristan da Cunha qu’on ne peut rejoindre qu’en cargo et qui m’a inspiré un autre scénario. J’ai expérimenté grâce à ces voyages la fascination et l’attrait magnétique que seule une île peut exercer grâce à l’isolement qu’elle procure. Gilles Deleuze a écrit ce que je considère comme une des plus fines analyses de l’île : « rêver des îles c’est rêver qu’on repart à zéro, qu’on recrée, qu’on recommence. »
L’île à Midi est une production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Une variété de sources de financements qui permettent de mener à bien des projets ambitieux comme L’île à midi, une implication des chaînes nationales dans la production et un réseau régional qui permet de faire vivre le cinéma en régions.
Pour voir « L’île à Midi, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F3.
Les infos en +
Le film sera diffusé dans l’émission Libre Court sur France 3 le vendredi 6 février à 00h35.
Philippe Prouff est invité de l’émission Les carnets de la création sur France Culture le 4 février à 20h55