Goûter avec Burundanga
Entretien avec Anaïs Ruales Borja, réalisatrice de Burundanga
Burundanga commence par une séquence dans un manège et votre personnage principal est opérateur d’attractions. Qu’est-ce qui vous attirait particulièrement dans cet univers ?
Je crois que tout est parti de là, de cette image qui m’avait frappée en parcourant un parc d’attraction de fortune au milieu des flaques d’eau. il y avait là un jeune homme, qui tenait fermement le levier de vitesse de l’attraction du bateau. Un immense vaisseau métallique se balançait avec à son bord plein d’enfants. Il conduisait sa machine avec l’assurance d’un routier, alors que toute la structure semblait sur le point de s’écrouler à chaque seconde. Je suis restée un moment à la regarder faire, et puis je me suis mise à divaguer sur ce que pourrait être sa vie. Les parcs d’attraction m’ont toujours fasciné, surtout ceux de l’Equateur, où tout fonctionne comme par miracle, faisant surgir la magie au milieu de la rouille.
Pourquoi avoir posé l’action à Quito, capitale de l’Equateur ?
L’action principale se déroule dans un village à une heure de Quito, puis à Quito même. En fait, je suis moi-même née à Quito où j’ai vécu mes 5 premières années. Cette ville, ce pays, sont, d’une certaine façon, rattachés pour moi au souvenir vague, presque impressionniste de la petite enfance. Celui dont on n’est pas vraiment sûr s’il existe ou s’il est le fruit de notre invention à partir d’une photo. C’est pour cela qu’à chaque fois que j’y retourne, j’y trouve quelque chose de profondément cinématographique, ce n’est pas comme en France où l’on fait nos vies entre quatre murs, à l’abri de tous. Là-bas, les choses se passent dehors, dans la rue, on y mange, on y parle, on y chante aussi, tout se mélange, et tout peut arriver, des choses belles et d’autres violentes, aussi.
Pourtant, Burundanga a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Disons que je pense qu’il n’y a même pas de possible comparaison. Là-bas, comme j’ai pu en faire l’expérience, le cinéma est en train de naître et, par conséquent, faire un film, c’est beaucoup plus le parcours du combattant. Les prix du matériel sont nivelés pour les productions publicitaires, etc. Mais on sent aussi le bouillonnement de cette naissance, la jeunesse du milieu cinématographique et la mise en place petit à petit de structures d’aides à la création (incomparable à il y a quelques années). Je sais que le CNC français est une influence majeure pour le CNCiné, son équivalent équatorien.
Dans Burundanga, le personnage principal fantasme sur une vie faite de simplicité, de succès amoureux et de richesse aux Etats-Unis. Avez-vous entrepris des recherches quant aux motivations qui poussent certains Sud-Américains à venir aux Etats-Unis ?
A la fin des années 90, une dixième de la population équatorienne est partie, la question de la migration s’est inscrite comme une cicatrice encore à vif, dans la culture contemporaine de l’Equateur. C’est quelque chose de très proche pour moi, et en même temps, oui, j’ai eu besoin de lire des choses. Surtout sur l’idée de la traversée, du voyage, des mythes qui l’accompagnent. Celui par exemple de la Bestia, le train qui fait la traversée vers les Etats Unis. Il y avait à l’origine, une scène où un personnage racontait ce qu’il s’y passait. Comment les cartels ou les autorités pouvaient avec violence mettre fin au voyage. Et Pablo écoute cette histoire avec une plus grande envie encore de partir, avec ce besoin de la jeunesse, du défi, du risque pour enfin sentir la vie, à l’opposé de la sienne passive et sédentaire, qu’il passe le plus clair du temps allongé ou à trainer. Cette envie de partir, ce qui m’intéressait c’était justement de l’articuler de manière palpable à la situation physique de ce village qui est clairement prisonnier de la brume, de la pluie infinie. Ce qu’il y a au-delà de la colline pour Pablo et pour nous, est insaisissable et ça rend d’une certaine manière plus inconsistante sa vie actuelle et plus pressante l’envie de partir.
Votre héros est totalement déconnecté du réel et du sens des responsabilités, de la sienne en particulier. Les actes qu’il commet ne lui semblent pas condamnables. Vouliez-vous dénoncer davantage l’influence de la drogue ou celle de la déception sentimentale dans sa perception du réel ?
Je crois que c’est un tout, Pablo s’en fout, il n’a pas de motivation particulière, il n’a rien à perdre et en même temps il n’ose pas pour autant se risquer. Et cette drogue lui permet une sorte d’entre-deux malsain où il peut enfin agir sans pour autant se confronter. Comme un acteur qui répète, qui essaie, qui expérimente, poussé par les autres, se laissant porter, quoi qu’il advienne.
Enfin dans Burundanga, l’échec de la mère est mis en évidence, mais on ne peut que constater l’absence du père et de toute figure équivalente. Quand vous avez réalisé ce film, pourquoi ne pouvait-il pas y avoir de père ?
C’est une bonne question, et je n’y ai pas vraiment réfléchi, la situation familiale est née comme ça. La mère représente aussi cet aspect que j’aime en Equateur, celui de la tradition orale, de la légende. Qu’elle soit seule, cela me permettait d’éviter que l’aspect trivial de la cellule familiale traditionnelle et des conflits et discussions ne prennent trop de place.
Il y a elle, face à son fils, c’est tout. Dans toute l’impuissance qu’elle peut avoir, ils sont un petit îlot, eux aussi. Elle existe comme mère mais avec un certain mystère, fantomatique, et les histoires qu’elle raconte aussi. On ne sait pas ce qui est de l’ordre de l’invention, du réel, du rêve, tout s’entremêle et revêt la même importance. En Equateur, c’est comme ça, on utilise beaucoup les contes pour expliquer des choses parfois aussi trop douloureuses, comme peuvent être la mort ou l’absence.
Pour voir Burundanga, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F8.