Lunch avec Sécheur
Entretien avec Scott Noblet, réalisateur de Sécheur
Comment vous est venue l’inspiration pour réaliser Sécheur ? Est-ce tiré de faits réels ?
Je me suis librement inspiré d’une nouvelle de James Joyce, extraite de son recueil Les gens de Dublin, que j’ai retravaillée en racontant l’histoire de deux anciens amis qui se retrouvent coincés ensemble l’espace d’une journée. Sans être basé sur des faits réels, le film est évidemment tiré d’expériences que j’ai vécues durant l’adolescence : l’errance, la déliquescence de certaines amitiés…
Pourquoi avoir choisi de réaliser ce film dans un environnement rural ? Vos héros auraient-ils pu être des citadins ?
Ayant moi-même grandi en ville, j’aurais dans l’absolu pu raconter cette histoire avec des personnages citadins. Cela étant, je tenais à le tourner dans un environnement rural car j’avais très envie d’inscrire cette histoire dans des décors plus expressifs, sauvages, mystérieux, que ceux que j’aurais trouvés dans un milieu urbain. J’avais envie que le récit ait une dimension de conte, un peu symbolique et hors du temps, notamment lors de la séquence de la rivière.
Dans Sécheur, vos deux jeunes garçons jouent avec leur virilité et leur capacité à être autonomes. Avez-vous pensé Sécheur comme une étape de l’émancipation du jeune garçon adolescent ? Êtes-vous sensible à cette thématique ?
Le film est pensé comme un “conte initiatique” (ou tout du moins, une initiation) où un adolescent sort de sa bulle, du monde clos qu’est l’école, pour se confronter à l’extérieur, revendiquer une liberté, chercher à sortir de lui-même. Je ne sais pas si on s’émancipe jamais vraiment des codes de virilité mais il y a un truc très typique de l’enfance où la compétition est agressive. Je voulais raconter cette manière d’être en interaction avec l’autre et le moment où l’on prend conscience que l’autre existe, où l’on devient moins puéril.
L’idée directrice de la mise en scène a donc été de faire ressentir un certain confinement propre à l’enfance (la classe au début du film est par exemple filmée comme un espace mental, impossible à définir, sans plan large pour situer). C’est pour cette raison que nous avons décidé avec le chef opérateur de tourner en 1:33, un format rigide qui induit une forte tension avec le hors-champ. Je voulais épouser le regard obtus d’Hichem et sa progressive ouverture vers l’extérieur.
Sécheur s’arrête avant de montrer les conséquences des actions entreprises par les deux jeunes garçons. Pourquoi ce choix ?
Je n’ai pas voulu montrer les conséquences de l’école buissonnière, à savoir les éventuelles « explications » à donner aux parents ou à l’école, dans la mesure où ce n’est pas le sujet du film. Il a été question dans les premières versions du scénario d’inclure les parents, mais je me suis rapidement rendu compte que leur présence était superflue. Il ne s’agit de savoir si les deux garçons vont se faire attraper comme dans Les 400 coups mais de savoir s’ils vont être capables de communiquer.
Cela étant dit, la fin du film n’est pas pour moi une fin ouverte (bien qu’elle laisse une part d’appréciation au spectateur) : l’histoire se clôt entre les deux garçons, chacun retourne dans son monde.
Dans Sécheur, votre héros rencontre un jeune adulte dont l’attitude questionne. Comment vous est venue cette idée et comment avez-vous travaillé cette séquence, au tournage et au montage ?
Le personnage est inspiré de la nouvelle mais a été rajeuni dans le film. J’ai écrit un dialogue en cherchant à la fois à donner la sensation du danger, tout en gardant une forme d’excentricité afin que les motivations de l’adulte restent incertaines : est-il dangereux ? Est-ce qu’il joue un jeu ? Ou est-ce que c’est juste un marginal qui cherche un copain d’une manière très étrange ? Les enfants attirent parfois des excentriques inoffensifs. Ce qui est certain c’est que cette rencontre a un côté réaliste mais aussi une portée symbolique : découvrir le monde, c’est aussi rencontrer la possibilité du mal.
Pour ce qui a été du tournage, nous avons filmé cette séquence de la manière la plus simple possible, d’une part pour que les acteurs ne soient pas entravés dans une scène très dense, d’autre part car il me semblait qu’un champ-contrechamp serré suffirait à installer un sentiment de claustrophobie, une impossibilité pour le personnage principal de s’échapper.
Le montage a été un grand moment de plaisir car nous avons pu travailler au millimètre sur les finesses du jeu de Mohamed Serhane et Thibault Lacroix. Ils ont été très généreux, nous offrant plein de variations possibles dans lesquelles la monteuse et moi avons pu piocher pour élaborer ce flottement entre tension et humour curieux. Étrangement, que ce soit au tournage ou au montage, on a vraiment beaucoup ri en travaillant sur cette séquence qui n’est pas exactement comique au final…
Votre film est quasiment 100% masculin. Pourquoi ce choix ?
Ce n’est pas un choix particulièrement pensé mais quelque chose d’intuitif, probablement lié au fait que mes amitiés ont toujours été beaucoup plus masculines !
Dans Sécheur, il y a une séquence de foot. Vous cadrez sur les pieds des joueurs et on peut voir les marques de leurs baskets. D’après vous, qu’est-ce qui fait que les adolescents attachent plus d’importance à leurs choix de chaussures qu’à leurs opinions ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça, en tout cas ce n’est pas l’expérience que j’ai de l’adolescence (et ce n’est pas non plus l’intention des plans que vous citez, qui ont plus à voir avec l’idée d’un certain élan, d’une fougue de la jeunesse).
Après, il est vrai que les adolescents vivent dans un monde à mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte, un peu angoissés par l’image qu’ils renvoient. Ce rapport à son image est effectivement l’un des sujets du film, mais je ne crois pas pour autant que les adolescents n’attachent pas d’importance à leurs opinions!
Comment avez-vous conçu et construit l’environnement sonore de Sécheur ? Et pourquoi le choix de la musique classique ?
Nous avons principalement travaillé avec le monteur son et le mixeur sur l’aspect sensoriel du film car le récit s’articule sur le rapport entre l’intérieur et l’extérieur. Par exemple, nous avons élaboré une ambiance assourdie dans la classe, au début du film, pour faire ressortir l’école comme un vase clos, un aquarium en quelque sorte. Par la suite, lorsque la perspective s’ouvre sur l’extérieur, nous avons travaillé sur des ambiances saisonnières afin d’élargir l’espace et donner cette sensation de l’été.
La nécessité de la musique était une question que je m’étais posée en amont, mais à laquelle je ne réussissais pas à répondre de manière définitive sans voir un premier montage. Dès la première version, on a voulu encercler le récit par un début et une fin un peu “oniriques”. Ariane, la monteuse, et moi avons essayé différentes options, parfois absurdes : du jazz, du rap, de la country… Les morceaux classiques que nous avons choisis fonctionnaient parfaitement dans l’esprit de ce que l’on cherchait : un sens de la dramaturgie, mais aussi quelque chose d’un peu hors du temps. La musique plus contemporaine tombait totalement à plat car le film est épuré et pas du tout pop.
Sécheur a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Je ne connais pas suffisamment la production des autres pays pour faire des comparaisons, mais pour ce qui est de la France, nous bénéficions en tant que réalisateurs de nombreuses aides permettant de réaliser des courts métrages très différents. J’ai ainsi eu la possibilité de tourner mon film grâce à l’aide et l’accompagnement du GREC (et évidemment des techniciens bénévoles) qui a été vitale pour la réalisation du projet en raison de contraintes complexes : longueur du film, déplacement de l’équipe dans la région du tournage, moyens techniques…
Pour voir Sécheur, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F12.