Breakfast avec Chalon
Entretien avec Jean-Luc Dang, réalisateur de Chalon
Tout d’abord, pouvez-vous nous préciser où se situe Chalon ?
Il s’agit précisément de Chalon-sur-Saône dans le 71. Il existe plusieurs Chalon alors le choix de ce titre ambigu était aussi voulu. Mon histoire aurait très bien pu se passer ailleurs…
Combien de temps avez-vous vécu à Chalon et depuis combien de temps en êtes-vous parti ?
Je suis né à Chalon et j’y ai habité une vingtaine d’années. J’ai commencé à quitter mon quartier grâce aux études. Il me semble important de développer cette partie car cela permettrait de comprendre mon « histoire ». Enfance difficile, problèmes familiaux et échec scolaire ne m’ont vraiment pas aidé. Par contre l’envie de « s’en sortir », de faire quelque chose de ma vie, de réussir, grandissait jour après jour. Lorsque j’ai dit à mon assistante sociale que j’allais tenter le concours de l’école d’art de Chalon, elle m’a répondu que je devais arrêter de rêver car je n’allais jamais y arriver… Effectivement la première fois que j’ai tenté, j’ai échoué. Un an plus tard, j’ai retenté ce concours. Mais cette fois-ci j’étais vraiment préparé et j’avais un vrai dossier à présenter. J’ai été pris ! C’est ainsi que j’ai commencé à sortir de mon quartier pour aller étudier en ville. D’ailleurs, c’est là que j’ai découvert la photographie. Je n’oublierai jamais ce jour, lorsque je suis allé au Trésor Public avec l’assistant social (un autre) pour chercher l’argent pour payer mes frais d’inscriptions… Je me souviens que j’avais les larmes aux yeux. Bref, tout a commencé ainsi. Puis j’ai poursuivi mes études à l’école d’art de Grenoble. J’ai donc commencé à partir plus souvent de Chalon. Mais je continuais de faire régulièrement des allers-retours. Ne serait-ce que pour voir ma famille et mes amis du quartier. J’ai vraiment quitté Chalon au bout d’une dizaine d’année. Ma famille ayant déménagé ailleurs, je n’ai plus d’attaches là-bas. À part bien sûr certains amis d’enfance qui sont restés là-bas.
Pourquoi avez-vous décidé de réaliser ce film, Chalon ?
Faire une école d’art m’a complètement changé. J’ai commencé à me remettre en question, à questionner tout et n’importe quoi, je voulais essayer de tout comprendre. Un jour, je suis rentré chez moi à Chalon et j’ai décidé d’emprunter l’argentique de mon frère qui, au passage, ne l’utilisait jamais. J’ai appelé des amis et on est allé faire un tour dans le quartier. J’ai commencé à prendre des photos puis en rentrant je notais tout ce qu’il s’était passé. C’est là où je me suis rendu compte que j’avais documenté mon quotidien et j’ai trouvé cela vraiment intéressant ! J’ai donc poursuivi ce processus sur plusieurs week-ends. J’ai ainsi continué à faire des photos tous les jours de mon quotidien afin d’alimenter mon journal photographique (numérique et argentique). Car j’ai un journal depuis 2003 qui regroupe à ce jour plus de 100 000 images triées par année, mois et jour.
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Dans Chalon, vous offrez un témoignage oral de vos souvenirs et de vos questionnements. Côté son, le film est-il un montage de la prise de voix brute ou avez-vous intégré une part de réécriture ?
À la base, je me souviens que j’avais fait ma prise de son avec les moyens du bord : un vieux dictaphone sous une couverture… Puis plus tard, j’ai eu accès à plus de moyens. Je me suis ainsi permis une part de réécriture à partir de mes notes. Par rapport à la voix-off, à l’époque je parlais très mal. Je me souviens avoir été quelqu’un de très réservé. Et lorsque je parlais, j’articulais très mal les mots. Bref, je n’étais pas un gros bavard. Donc raconter mon quotidien a été une petite épreuve. J’ai fait beaucoup d’efforts à ce niveau-là. Aujourd’hui, je suis devenu quelqu’un de différent et qui n’a plus de problèmes pour s’exprimer. Quant à la bande son, elle a été travaillée par un ingénieur du son.
Et côté image, dans quelles proportions avez-vous utilisé les images réelles d’une seule visite ? Y a-t-il d’autres images utilisées ?
En fait, il s’agit d’une nouvelle version avec un nouveau montage, de nouvelles images et une bande-son complètement retravaillée. La version que j’avais montrée à mes producteurs n’a plus rien à voir avec celle sélectionnée pour le festival. J’ai même envie de dire que ce sont deux films différents. Du coup, on a retiré le côté temporel avec les dates qui apparaissaient et certaines situations jugées moins pertinentes. Et surtout, je tenais absolument à rester sur un format court, moins de 15 minutes. Pour revenir à la question de départ, il y a donc eu plusieurs « visites », durant plusieurs week-ends et cela s’est déroulé sur plusieurs mois. Je n’ai utilisé que des photographies personnelles.
Pensez-vous que la vie à Chalon ait beaucoup changée depuis l’époque de votre enfance ?
J’ai eu l’occasion de revenir quelques fois en coup de vent mais pas assez longtemps pour avoir assez de recul. En fait ce sont mes amis qui me décrivaient toujours tout ce qui avait changé là-bas. Je sais par exemple que le quartier des prés Saint-Jean (la ZUP de Chalon) a fait l’objet d’une grande rénovation. Que le centre commercial où l’on traînait souvent a été démoli ou, par exemple, que l’école que je fréquentais avait fermée… Pour être franc, je n’ai jamais osé revenir sur ces lieux car ils m’évoquent encore de mauvais souvenirs. Mais peut-être qu’il faudrait ? En tout cas j’y pense sérieusement…
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À un moment du film, vous abordez la question politique et sociale. Aviez-vous pensé Chalon dans ce but ou est-ce arrivé par la suite ?
C’est arrivé plus tard, au moment de choisir les images pour le montage. J’avais même hésité à mettre cette partie, pensant qu’il valait mieux rester sur ce travail de quotidien. Mais finalement, les questions politiques et sociales font forcément partie de ce quotidien ! D’ailleurs, cette partie a fait grincer les dents au Conseil Général de Saône-et-Loire (qui, au passage n’avait même pas vu le film). Ils n’ont vraisemblablement pas compris que lorsque je critiquais le maire, il n’y avait absolument rien de personnel. J’étais juste, pendant quelques instants, retourné dans la peau d’un jeune habitant qui, comme plein d’autres, était un peu paumé.
Vous évoquez une journée très sympathique mais dans laquelle rôde un climat d’insécurité, à cause de traces de brûlures sur les murs. Vous souvenez-vous de cette journée en particulier à cause de ces traces, comme une chose rare mais sous-jacente, ou diriez-vous plutôt que toutes les journées ressemblaient à cela, avec un sentiment d’insécurité qui filtre chaque moment de la journée ?
Je me souviens un peu de cette journée. Des poubelles ou des voitures brûlées ne sont le fait que de quelques individus qui pourrissent la vie des habitants. Malheureusement, ça fait partie de leur quotidien. C’est comme la porte de mon hall qui s’est fait défoncer du jour au lendemain sans raison valable. Le sentiment d’insécurité n’était présent que lorsque je le remarquais. Lorsque je revenais à Chalon, je portais un autre regard sur mon quartier et je remarquais beaucoup trop de choses. La réalité me rattrapait…
Vous ou votre personnage principal évoque ensuite le thé rouge. Ce thé est peu répandu en France, à quelles racines vous rattache-t-il et pourquoi avoir choisi de l’évoquer ?
C’était dans cette démarche de vouloir tout comprendre, de prendre du recul. Le moindre détail avait donc de l’importance pour moi. La famille de Naoufel est d’origine tunisienne et ce qu’ils m’ont servi est appelé communément « thé rouge » en Tunisie. Et puis je trouvais aussi drôle d’évoquer brièvement la notion de couleur dans un film… en noir et blanc.
Pourquoi votre personnage considère-t-il que la « combinaison baskets survêt, ça ne me va plus » : plutôt à cause d’un statut social qu’il aurait acquis ou d’une volonté de s’écarter d’un préjugé attaché à cette tenue ?
Maintenant que j’y repense lorsque j’étais un ado je ne savais vraiment pas m’habiller. Il fallait forcément que je ressemble aux autres afin de m’intégrer. Plus tard, j’ai abandonné petit à petit ce style vestimentaire d’abord à cause des préjugés mais surtout car cela ne me correspondait plus. Je m’étais rendu compte qu’en essayant de ressembler aux autres, je n’avais plus de personnalité. Mon statut social n’a pas changé non plus. Je n’étais pas plus riche ni plus pauvre qu’avant. Je pense qu’on juge trop vite les gens par leurs apparences. C’est comme lorsque le maire est venu me serrer la main. L’aurait-il fait si j’étais habillé en survêtement et baskets ? Ou bien parce que justement j’étais bien habillé et avec un gros appareil photo ?
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Votre personnage principal est remis en question par rapport à ses croyances, avez-vous constaté dans le réel ou fait des recherches sur le fait que les personnes de type asiatique soient assimilées à la pratique du bouddhisme ?
C’est une très bonne question ! C’est vrai que beaucoup de gens pensent que comme je suis asiatique, je suis forcément… bouddhiste. Comme si toutes les personnes d’origines maghrébines étaient forcément musulmanes. Quand vous grandissez dans un milieu un minimum croyant, vous baignez forcément dedans. Personnellement, je me suis détaché de la religion en grandissant et ça n’a jamais posé de problème dans ma famille. Je pense que c’est plutôt un problème d’amalgame. Les origines et la religion sont bien deux choses différentes !
Chalon a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français », dans la construction du contexte du film ou dans le questionnement des notions évoquées ?
Il s’agit d’une production française (Nouvelle Toile). En fait, tout a commencé lorsque j’ai décidé de sortir dans mon quartier « armé » d’un appareil photo. Je me suis retrouvé par le plus grand hasard au milieu des émeutes de 2005. C’est ce qui m’a donné envie de continuer régulièrement à arpenter les rues de mon quartier et prendre des photos lorsque je rentrais à Chalon. De continuer de documenter mon quotidien. Lorsque j’ai commencé à choisir les images, je ne pensais pas spécialement à cet aspect « français ». Pareil lorsque j’abordais les questions de religion, sociales ou politiques. Ce n’était pas du tout prévu. D’ailleurs je ne savais pas du tout dans quoi je me lançais. Mais j’avais cette envie grandissante de tester, d’expérimenter !
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Pour voir Chalon, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.