Lunch avec Au bruit des clochettes
Entretien avec Chabname Zariab, réalisatrice de Au bruit des clochettes
Comment vous est venue l’idée de réaliser Au bruit des clochettes et pourquoi vouliez-vous traiter de l’esclavage ?
L’idée m’est venue d’un documentaire réalisé par un journaliste afghan, Abdullah Quraichi, qui avait infiltré ces réseaux de « Batcha baz », autrement dit des Joueurs de Garçons. Il faut expliquer en quoi consistent ces « jeux » : de très jeunes garçons sont enlevés ou achetés pour danser, déguisés en femmes, dans des cérémonies organisées par et pour les hommes qui violent ces enfants à la fin des représentations. J’ai trouvé cette pratique absolument barbare et d’un autre temps. Ces images m’ont poursuivie pendant des jours. J’étais entre choquée à attristée tout d’abord puis très révoltée. Je n’avais pas d’autres moyens de faire parler de ce sujet que d’en faire un film.
Auriez-vous pu faire le même film avec des femmes esclaves ? Qu’est-ce qui vous intéressait davantage avec des hommes ?
J’aurais pu aussi parler de l’esclavage des femmes. En l’espèce, mon but était de parler de la condition de ces enfants dans mon pays d’origine qui est l’Afghanistan et, plus précisément, dans ces sociétés qui se disent ultra religieuses, de la ramification entre le monde des hommes et celui des femmes qui font naître des frustrations sexuelles et donc des dérives. Je parle de cette pratique en Afghanistan mais Nabil Ayouch y fait également allusion dans son très beau film Much Loved qui se passe au Maroc.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la danse et ce qu’elle signifie ?
La danse fait partie intégrante de cette pratique. Les jeunes garçons dansent pour l’assemblée. On les fait boire et fumer puis ils sont abusés. J’ai souhaité l’intégrer dans mon film car il y a, me semble-t-il, une dimension cinématographique très forte.
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Pourquoi avoir choisi des clochettes, et pas des pièces d’or ou des coquillages ? Est-ce un choix poussé par le réalisme de situation ou par la symbolique des clochettes ?
Oui effectivement, c’est uniquement dans un souci de réalisme. Les clochettes sont beaucoup utilisées dans les danses en Asie centrale, il n’y a qu’à regarder le cinéma indien…
En situation de supériorité, le maître ne se contente pas d’utiliser l’esclave, il le rabaisse par des discours accusateurs. Pourquoi vouliez-vous donner à voir (et entendre) ce comportement ?
C’est un genre de manipulation assez fréquente, finalement. Le maître joue avec l’affect du garçon. Pour le jeune, son bourreau est sa seule famille. C’est un peu le syndrome de Stockholm. La victime, souvent isolée, finit par aimer son bourreau.
Dans Au bruit des clochettes, vous questionnez l’émancipation de votre personnage principal sous toutes ses formes. L’avez-vous pensée comme une phase choisie ou subie ?
Pour moi, Saman, le plus grand des garçons, finit par prendre conscience de sa condition. Sa décision à la fin du film n’est pas subie mais choisie. C’est sa façon à lui de se libérer finalement, mais aussi de sauver le petit Bijane.
Comment avez-vous écrit les rapports de rivalité et d’amitié entre les deux esclaves ? Vous êtes-vous servi d’un environnement en particulier pour vous inspirer ?
Cette rivalité est presque enfantine. Ce sont tous les deux des enfants pour moi. C’est comme lorsque, dans une famille, un enfant vit mal l’arrivée d’un petit frère ou une petite sœur qui va attiser toutes les attentions. Une jalousie peut naître… Mais finalement, ils vont apprendre à se connaître et à s’aimer.
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Comment avez-vous pensé le rapport aux autres membres du village ? Comment est-ce possible que tous soient au courant de cet esclavage et qu’ils acceptent cette situation ?
Il s’agit plus de réseaux que de membres d’un seul village. Tout le monde ne participe pas à ce genre de cérémonies. Donc ceux qui viennent, savent.
Selon vous, les victimes peuvent-elles aller jusqu’à se transformer en bourreaux ?
Oui, je le pense. Je suis assez fascinée par la complexité de l’être humain. Pour rester dans le sujet du film, il est courant que des Batchas, « des garçons », une fois adultes, deviennent à leur tour des maîtres. Mais l’exploitation des plus faibles est une marque de fabrique de l’Homme. Les gens s’offusquent de ce qui se passe dans certains pays comme l’Afghanistan mais des traditions barbares existent tout autant chez nous. Certes, dans d’autres domaines, mais cela reste également quelque chose d’effrayant et d’insupportable pour moi, je pense par exemple à la corrida. Je ne sais pas comment on peut se réunir et applaudir un animal qui se fait torturer en prétextant un spectacle, un art… C’est tout de même très moyenâgeux ! Ou alors d’autres pratiques beaucoup plus ordinaires, le gavage des oies, le broyage des poussins alors qu’ils sont vivants, toutes les tortures que fait subir l’industrie laitière et je m’arrête là parce que les exemples sont nombreux dans ce domaine-là ! Nous sommes, je pense, aussi terrifiant que cela puisse paraître, chacun un petit bourreau à notre niveau, et parfois par simple ignorance.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines ?
Pas seulement le court métrage ! Il y a beaucoup d’outils… Le cinéma, la photo, la philosophie, les livres…
Au bruit des clochettes a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Pourquoi ce choix ?
Ce film a vu le jour grâce à une production, Les films du Bal et a été co-produit par le CNC et la chaîne Arte. Pour moi, il n’y a rien de mieux que d’avoir un producteur. Cela permet tout d’abord de se concentrer uniquement sur les aspects artistiques d’un film et non financiers puisque la recherche de financement appartient au producteur et, d’autre part, cela permet également d’avoir un accompagnement durant l’écriture et surtout, d’être entouré par des professionnels qui nous aident et nous conseillent et qui sont au service du film tout autant que le réalisateur.
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Pour voir Au bruit des clochettes, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.