Lunch avec Que vive l’Empereur
Interview de Aude Léa Rapin, réalisatrice de Que vive l’Empereur
Comment vous est venue l’inspiration pour Que vive l’Empereur ?
Un ami belge m’a montré des images de la reconstitution qui avait lieu chaque année à Waterloo près de Bruxelles. J’ai été immédiatement fascinée par cette incarnation ou cette réincarnation de l’histoire par des gens issus de tous les horizons. Cette année-là marquait le bicentenaire de la chute de l’Empire napoléonien lors de la terrible bataille de Waterloo. C’est une incroyable toile de fond, une sorte de carnaval géant à ceci près que la thématique est unique et précise : la guerre. Ce qui est le plus prégnant au sein des reconstitutions c’est la place des armes et de la guerre. Car au-delà du folklore, des bivouacs et des costumes, tous les « reconstituants » n’ont qu’un objectif : la grande bataille. Ce sont des adultes qui jouent à faire « comme si » ou « on dirait que ». C’est cette envergure-là qui a été le moteur du projet et du personnage du soldat Bébé, incarné par l’acteur et co-scénariste Jonathan Couzinié. Nous avons eu le sentiment que ces personnes qui « jouent à » Napoléon, font à peu près ce que nous faisons nous aussi dans la fabrication même d’une fiction. Nous jouons à faire vrai.
Appréciez-vous les costumes d’époque et les groupes de reconstitution historique ?
J’avais le désir de réaliser un jour un film en costume. Je savais aussi que c’était très couteux et complexe. Des centaines de figurants à gérer, des moyens techniques qui, aujourd’hui, ne sont pas à ma portée et un travail de documentation gigantesque. En 1969, Kubrick a tenté de faire un film sur l’Empereur, j’ai parcouru une infime partie de son travail de préparation, c’était colossal, un travail fou. Le film n’a jamais vu le jour mais il a mis en lumière l’ampleur de la tâche. J’ai opté pour une idée très simple, réalisable avec des moyens modestes, où les costumes et la reconstitution seraient relégués à leur fonction première : le décor.
Le personnage de l’Empereur et la période napoléonienne avaient-ils un sens particulier ? Cette fascination-là dit-elle quelque chose du personnage ? Auriez-vous pu faire le même film avec une reconstitution autour de César ?
Nous aurions probablement pu ancrer le projet dans un autre contexte, tout est possible. Mais il s’avère que Napoléon faisait écho à notre désir d’histoire. Il incarne l’idéologie patriarcale et totalitaire qui a nourri le personnage et le couple de mon film. Le Soldat Bébé se comporte en toute puissance. Il règne sur sa femme. C’est son seul et unique bataillon. Il l’embarque dans sa folie guerrière et s’y perd. En ce sens il a quelque chose de napoléonien. J’avais besoin de m’emparer de la figure de l’Empereur pour m’intéresser à sa chute. Une sorte de message adressé aux hommes qui se croient « par nature » supérieurs à leur femme pour ne pas dire à la femme. Cet héritage culturel et historique est une ombre qui nous colle à la peau. Et pour faire disparaître une ombre, il suffit de l’exposer à la lumière !
Vous abordez dans Que vive l’Empereur le besoin de reconnaissance et la quête d’une « famille » fondée sur des rêves communs plutôt que sur une filiation. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette thématique ?
L’idée très basique que nous ne sommes rien tout seul. C’est le paradoxe de l’Empereur. Le besoin de Bébé d’intégrer un bataillon est clairement motivé dans le film par ce besoin d’appartenir à quelque chose de grand. Son rêve est de devenir « un soldat comme les autres » et de rejoindre la Grande Armée. J’aime l’idée qu’on puisse se réinventer n’importe quand tout au long de sa vie. J’aime les personnages de film qui poursuivent mordicus leur désir de devenir, qui jamais ne jettent l’éponge sous prétexte que les rêves appartiendraient à l’enfance. Mais au-delà, la famille définie uniquement par les liens du mariage et de la filiation est terriblement angoissante. Cela lui confère la notion d’un entre-soi immobile, une entrave à la liberté d’être soi. Bébé veut se choisir une famille et j’ai eu envie de l’accompagner dans ce mouvement.
Vous questionnez aussi l’équilibre dans le couple, la dépendance, la domination, la place laissée aux compromis… Qu’est-ce qui vous intéressait dans le questionnement du rapport amoureux entre les deux personnages ?
Tout ça m’intéresse, la dépendance, la domination, la place laissée aux compromis. Ce qui a motivé le film c’est de me suffire de ça justement. Je n’ai pas cherché à faire entrer des événements extérieurs au couple, pas de personnages secondaires, pas d’intrigue ni de péripétie. Juste mettre en face l’un de l’autre un homme et une femme, un meneur et un suiveur et faire en sorte que l’organique même de leur équilibre s’inverse. On ne domine que si quelqu’un d’autre est dominé. Le jour où Ludo décide que s’en est trop, le vieux schéma tombe en lambeaux. J’avais l’image du film Dolls (de Takeshi Kitano, 2002, ndlr), avec les deux héros attachés pour toujours l’un à l’autre. J’avais envie de raconter à ma manière ce que cette imagerie a produit sur moi en son temps. L’idée même que la relation se construit sur le long terme, n’importe quelle relation d’amour d’ailleurs. Ce n’est pas les mariages et les divorces qui m’intéressent, ce sont tous ces autres moments qui ne portent pas de nom mais qui composent l’essentiel d’une histoire.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Cette année a été particulière pour moi, j’ai eu un enfant, ce qui m’a tenu loin des salles de cinéma. J’en ai par contre profité pour faire le plein de classiques…Una Giornata particolare d’Ettore Scola, L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville, Requiem pour un massacre d’Elem Klimov – sans doute le film le plus fou que j’aie pu voir jusqu’ici -, La dernière séance de Peter Bogdanovich qui m’a permis de découvrir le magnifique travail littéraire du scénariste et romancier Larry McMurtry – Lonesome Dove, Dead Man’s Walk – … je pourrais en citer beaucoup d’autres, mais voilà ceux qui me viennent spontanément.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je suis venue ici à deux reprises, Ton cœur au Hasard a remporté le Grand Prix en 2015 ainsi que le prix Adami d’interprétation pour l’actrice Julie Chevalier. Jonathan Couzinié avait aussi reçu une Mention spéciale du jury pour son interprétation.
Pour voir Que vive l’Empereur, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.