Breakfast avec Après
Interview de Wissam Charaf, réalisateur de Après
Comment vous est venue l’inspiration pour ce film ? Avez-vous entrepris des recherches à partir de parcours réels ou est-ce purement fictif ?
C’est une histoire assez compliquée. Je n’arrivais pas à trouver de financements pendant bon nombre d’années pour mon projet de long métrage Tombé du ciel. En désespoir de cause, j’ai décidé de découper le scénario en un moyen métrage et un court métrage dans l’espoir que l’un de ces deux nouveaux projets puisse passer une commission de financement. Après est donc un court métrage tiré de ce scenario de long métrage où le protagoniste revient dans la maison de ses parents après la guerre et découvre la maison abandonnée. C’était l’idée de base. En même temps, je lisais un roman intitulé Dans les meules de Beyrouth de Toufic Youssef Aouad (Actes Sud, 2012), un des grands écrivains de la littérature moderne libanaise. Le livre a été écrit avant le début de la guerre civile au Liban et raconte l’histoire de Tamima Nassour, une jeune femme d’une famille pauvre du sud du Liban qui vient à Beyrouth pour poursuivre des études universitaires. Elle découvre, à travers les hommes qui essaient de la séduire, des visages représentatifs des prémices de la guerre. Et j’avais essayé de m’imaginer ce que serait devenue cette femme, quelques années plus tard, une fois qu’elle aurait été gavée d’histoires amour, de séduction, de déceptions, de fêtes et d’excès : une femme déchue qui échouerait dans un coin perdu de campagne, dans sa voiture de sport rouge, pour se suicider. Et donc, pour développer cette idée de retour d’un personnage dans la maison de ses parents, j’ai essayé de se faire rencontrer fortuitement ces deux personnages. C’est devenu la trame du court métrage qui a fini par trouver un financement et se tourner en juin 2015. Le plus drôle dans l’histoire, c’est que l’autre moyen métrage du projet d’origine a également trouvé un financement au même moment, ce qui m’a permis de tourner en version longue Tombé du ciel 6 mois plus tard. Cela arrive après une période de 10 ans durant laquelle je n’avais jamais pu financer un seul film.
Pourquoi avoir choisi de ne pas nous donner les clés ou les raisons de l’emprisonnement de votre personnage principal ? Le rapport à la prison vous intéressait-il ou était-ce simplement un moyen pour créer la fracture nécessaire ?
L’idée de sortir de prison donne elle-même suffisamment d’informations : sauf erreur du juge, il s’agit en général de quelqu’un qui a commis un crime. La nature de ce crime était pour moi une information qui situerait plus le personnage dans le réel : un assassin, un violeur, un terroriste, un gangster. Moi, ce que je voulais, c’était plutôt un personnage dont on sache simplement que c’est quelqu’un qui a été capable de commettre du mal. C’est déjà un gros trait de caractère et je voulais garder du flou autour du reste, quelque chose d’un peu irréel, de l’ordre de la fable. Et la première séquence donne déjà des indications : un coup de couteau, une bagarre, un kidnapping, des coups de feu. Du coup, la sortie de prison devenait simplement un ressort pour enclencher la dynamique d’après : que fait quelqu’un qui sort de prison? Il rentre chez lui, s’il a encore un chez-lui.
Dans Après, le personnage semble commencer par chercher sa vie d' »Avant ». Pourquoi vouliez-vous qu’il commence par une tentative de retour, plutôt qu’une tentative de nouveau départ ?
Il rentre chez lui par instinct. Personne n’est revenu le chercher, il est curieux de savoir pourquoi, il aimerait bien revoir sa mère. Et peut-être que c’est un homme qui a mûri, qui veut dans un premier temps réparer le mal qui s’est fait chez lui, dans son village, afin de pouvoir enclencher un nouveau départ. Le retour au passé est un thème que j’ai à cœur dans mes films. Cela a un rapport direct avec la mémoire refoulée de la guerre du Liban : dans tous les villages, il y a eu des histoires horribles, dont personne ne veut aujourd’hui parler, dans la crainte de réveiller de vieux démons, maintenant que le pays est dans une paix relative.
Pourquoi étiez-vous intéressé par le rapport de vos personnages à leurs cercles affectifs, les déceptions qu’ils génèrent et qu’ils subissent, comme les espoirs qu’ils peuvent avoir… et qu’ils peuvent aussi faire naître ?
Ce qui m’intéressait, c’était l’effleurement. Celui de deux êtres, l’un dans un trop-plein de violence, l’autre qui a reçu un trop-plein d’amour. Et de montrer que ces deux sentiments peuvent être aussi destructeurs l’un que l’autre. Et de montrer également que la violence peut se muer en sagesse au bout d’un certain temps, comme l’amour peut se muer en désespoir. Et ces deux âmes qui se rencontrent vont vivre une attraction, aussi ténue soit-elle, une sorte de sympathie dans le désespoir. Il n’y a pas de séduction directe, il y a plutôt une errance commune, un moment somme toute bizarre passé ensemble dans cette baraque abandonnée qui les rapproche, qui leur donne de l’espoir. Quant à leurs cercles affectifs respectifs, ils y sont tous les deux des perdants : l’homme retrouve un présent qui semble le rejeter, dans ce village où il n’a plus de famille, plus d’alliés. La femme ne parvient pas à se suicider, à en finir, se fait constamment harceler par ses amants. Tout ce qui leur reste, c’est cette cohabitation forcée où ils baissent leur garde peu à peu.
Dans Après, vous jouez particulièrement avec des grenades, comment vous est venue cette idée ?
Quand j’avais 9 ans, j’ai été grièvement blessé par une grenade au Liban. J’y ai survécu assez miraculeusement, et la grenade est restée un objet fort de mon enfance. Et puis, il y a la grenade, le fruit du grenadier, un très beau fruit au goût très noble. En plus, en arabe, le fruit et l’arme sont désignés également par le même terme (roummana), comme en français. La grenade est un fruit qui est symbole de fécondité, de vie, alors que la grenade-arme est un symbole de mort. La métaphore autour de ces deux objets, qui symbolisent deux choses opposées avec la même appellation, me semblait une comparaison adéquate entre cet ancien criminel qui retrouve un village mort et cette femme qui revient à la vie, ces deux entités qui se retrouvent sous le même toit.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
La mort de Louis XIV d’Albert Serra, Rester vertical d’Alain Guiraudie, Kung Fu Panda 3. J’en rate malheureusement beaucoup en vivant au Liban.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
J’y étais venu en 2007 pour présenter un court métrage, L’armée des fourmis. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de neige et que j’y avais mangé de l’aligot !
Pour voir Après, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.