Lunch avec Le petit
Interview de Lorenzo Bianchi, réalisateur de Le petit
Votre héros, Luka, est un enfant de moins de douze ans. Comment vous est venue l’idée de réaliser votre film autour d’un enfant ?
À l’origine, il y avait le désir de faire un film inspiré de l’enfance de Georges Bataille. Il ne s’agissait pas d’un biopic, mais d’un cadre narratif et d’un univers dont je me sentais proche, et qui m’auraient permis d’aborder un endroit qui m’intéressait particulièrement, le rapport entre l’enfance et la mort. Au fur et à mesure du travail d’écriture – qui a été long et complexe – la référence à Bataille devenait moins explicite, et l’expérience de ma propre enfance se révélait comme le moteur réel de ce travail.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cet enfant en particulier, qui a fort caractère ? Et est-ce vraiment le « petit » ?
J’ai rencontré Luka en 2014, un an avant le tournage, lors de ma première session de casting à Riom-ès-Montagnes. C’était une évidence, mais de celles qu’on ne sait reconnaître qu’après-coup. Ce qui m’a frappé chez lui, c’était le grand contraste entre son physique d’angelot blond aux cheveux bouclés et une dureté, une fragilité qui n’appartenaient pas à son âge. Il avait l’air de s’en foutre de la caméra, et même de faire un film. J’avais l’impression qu’il était là par défi, et j’aimais ça. J’ai mis longtemps pour me dire que c’était lui qui allait porter le film. Il était censé jouer le rôle du meilleur ami jusqu’à un mois avant le tournage. Mon hésitation était due à des considérations qui n’avaient aucune valeur réelle. Je pensais à des questions de ressemblance physique avec les interprètes qui devaient jouer les parents, ou bien je craignais la très grande expressivité de son corps. J’avais peur d’un effet de trop plein à l’image. Alors qu’il fallait juste saluer ça comme un cadeau. Arrêter de penser à l’idée du rôle et regarder ce que j’avais devant les yeux. Un personnage, même celui qui est le mieux écrit, n’existe pas. Il n’est qu’une abstraction, alors qu’une personne existe, et on doit voir la personne quand on fait un casting. C’est une des choses les plus précieuses que j’aie apprise en faisant ce film. Pour répondre à la question donc, ce n’est pas Luka qui était « le petit » mais « le petit » qui était Luka. J’ai réécrit le scénario pour lui quand je l’ai choisi comme premier rôle.
Avez-vous pensé la vulgarité du père comme une conséquence malheureuse de son infirmité ou est-ce un trait de caractère que vous lui avez imaginé dans un « avant » éventuel ?
C’est sans doute la première option. Je ne pense jamais à l’avant d’un film. Ce qui m’intéresse c’est ce qu’il y a dedans, et dans le cas particulier, il y a un corps malade qui ne se résout pas à mourir et qui est encore habité par le désir. Avoir du désir alors qu’on est cloué au lit et qu’on te change la couche, ça c’est quelque chose qui m’intéresse. L’humanité qu’il peut y avoir dans un tel état, une humanité entière, non idéalisée, désespérée et terrifiante à vivre, notamment pour ceux qui t’aimeront malgré tout. Ce désir qui est là alors qu’il ne devrait pas l’être, c’est censé être le moteur narratif du film. Avec Ilias el Faris, qui a co-écrit la dernière version du scénario avec moi, on a cherché à fabriquer un récit où personne n’aurait été coupable au bout du compte, où l’on aurait qu’à tirer les conséquences d’une situation de départ qui coïncide avec une fatalité, notre fatalité à tous – la maladie, la mort. C’est tout simplement parce qu’on meurt que cette histoire a lieu. Qu’on meurt malgré nous.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le questionnement du rapport fusionnel mère-enfant ?
Ce rapport fusionnel est une des conséquences de la situation de départ, où celui qui est censé être l’homme de la maison est cloué au lit, et qu’il y a un manque affectif chez la mère que l’enfant se retrouve à combler. Le fils devient un peu le père et le père, un peu le fils. On voulait commencer le film en montrant ce réseau d’affects reconfiguré par la maladie, la précarité de son équilibre, qui ne peut exister qu’à condition qu’il soit épargné du monde, qu’on ne vienne pas le troubler de l’extérieur. Si l’enfant épouse la situation sans la questionner, comme un enfant donc, la mère sent que tout cela ne peut pas tenir. Elle aussi est habitée par le désir et ne se résout pas à la fatalité. Ni la sienne, ni celle de Luka. La tension entre mère et fils est la conséquence de cet état de fait.
Qu’est-ce qui vous intéressait aussi dans le rapport de Luka aux autres enfants ?
Il m’importait de montrer que Luka est un enfant comme les autres, qui a des amis donc, et qui s’amuse avec eux. Sa situation n’a rien d’exceptionnel au fond, car la mort n’est pas exceptionnelle. J’ai toujours trouvé le quotidien plus intéressant que la péripétie. Ce qui me touche, c’est la difficulté de voir, de reconnaître, d’accepter ce que l’on a sous les yeux tous les jours.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Des courts-métrages. Vincent V de Soufiane Adel, Cilaos de Camilo Restrepo, les films de Thibault Le Texier (tous). Des films rares parce que réellement politiques.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je suis venu plusieurs fois en tant que spectateur. En tant que participant, c’est ma première fois. Je n’ai pas d’anecdotes particulières à raconter, sinon le souvenir de la découverte du festival, il y a quelques années, avec mes amis, qui sont devenus depuis ma famille de cinéma. On y rêvait d’y être un jour et nous voici. Si cela me touche, c’est que ce film, on l’a fait ensemble. C’est notre film de famille, et c’est une famille heureuse.
Pour voir Le petit, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.