Dernier verre avec Cabane
Interview de Simon Guélat, réalisateur de Cabane
Dans Cabane, vous explorez les comportements sociaux et les « épreuves » initiatiques. Vos personnages sont aussi à la recherche de références. Pensez-vous que les rituels culturels puissent apporter à la construction de soi ? Est-ce à chacun de créer les siens ?…
Oui, ce qui m’intéresse, c’est notre capacité à ré-enchanter le monde, à le transcender. Comment la pensée est capable de transformer le réel. Ce qui donne de la valeur aux choses, c’est ce qu’on y met, de quoi on les investit. Je crois beaucoup à la valeur du symbolique. Certains actes apparemment inutiles, peuvent, s’ils sont investis, avoir une portée déterminante, donner du sens ou aider à vivre. Dans Cabane, j’ai essayé d’être du côté des personnages, en particulier de Denis, de donner à voir sa subjectivité. C’était donc important que la cabane et ses alentours, cette bulle au milieu de la désolation militaire, puisse visuellement paraître hors du monde, comme une utopie, un rêve. Elle est tout ce que ces jeunes gens ont mis dedans. Y dormir seul, pour Denis, va sans doute lui permettre d’aller au bout de ce projet et du désir qu’il porte, de l’explorer, d’affronter sa peur, pour pouvoir ensuite aller ailleurs.
Pourquoi étiez-vous intéressé par la période de l’adolescence ?
C’est un moment charnière, qui contient beaucoup de possibles : suivre le chemin déjà tracé ou bifurquer. Ça demande du courage d’oser aller voir ailleurs, d’écouter ce qui semble être juste. Le risque est grand, on peut y perdre des choses précieuses en route. Denis est un personnage précurseur. Il n’a pas de modèle, mais ose s’affranchir d’une manière commune de percevoir les choses et aller vers son désir, le formuler.
Dans Cabane, vos adolescents jouent aussi à s’opposer à l’autorité… qu’est-ce que ce rapport au monde « adulte » apportait au film ?
L’univers militaire qui les entoure incarne l’autorité, c’est donc aussi le monde des adultes, dans ce qu’il a peut-être de plus absurde et vide de sens. Ce jeune groupe joue avec les codes de l’armée, il les détourne et en fait quelque chose de beau. C’est le cas par exemple de la bataille de boue, ou l’utilisation détournée des feux de détresse. La zone militaire n’est pas intéressante en soi, mais elle le devient quand ils posent leur regard dessus. On peut dire qu’elle est fantasmée. Parce qu’ils ne rencontrent jamais les militaires en vrai. Et quand ça arrive, ce n’est pas forcément fidèle à l’image qu’ils s’en faisaient, en tout cas pas pour Denis.
Comment avez-vous réussi à vous replonger dans cette période avec réalisme et sincérité ? Quelle a été votre approche dans la préparation du film et dans le travail avec les jeunes acteurs ?
Le contexte dans lequel se déroule l’histoire est autobiographique. Je suis né en Suisse dans un village entouré d’une zone militaire. Ce terrain connu m’a donc beaucoup aidé à écrire le scénario. Pour le tournage, j’ai plutôt essayé de prendre de la distance avec ça et de filmer les acteurs que j’avais choisi, d’essayer de préserver leur singularité. Un des enjeux était aussi qu’on croie à ce groupe. Nous avons donc passé quelques jours ensemble à la campagne avant le tournage, pas tellement pour répéter, mais juste pour qu’ils fassent connaissance. On a fait un feu, grillé des marshmallows, testé les fusées de détresse, les mobylettes. C’était important qu’ils aient une histoire commune avant le tournage du film. La caméra sent ça, plus besoin de le jouer de manière volontaire, ça infuse…
Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’environnement de la forêt et dans le symbole de la cabane ?
Ce qui me plaît dans la cabane, c’est que toute une activité est déployée pour la construire, mais une fois que c’est fait… comment l’habiter ? Le projet, c’est la construction, pas le résultat. Quand le film commence, les adolescents vont inaugurer la cabane, ils fêtent donc la fin de quelque chose, sans en avoir vraiment conscience. J’aimais bien ce paradoxe. À la fin du film, la cabane n’est plus qu’une épave, comme les bateaux militaires qui l’entourent. Elle a rempli sa fonction, Denis peut la laisser là, comme une trace, un souvenir déjà. La forêt est un espace de projection très riche. Elle paraît douce et rassurante la journée, et quand Denis s’y retrouve seul la nuit, elle est beaucoup plus étrange, presque terrifiante. Il y a quelque chose de mythique, qui nous rappelle des peurs très primaires, de l’enfance.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Je n’aime pas trop les listes, les top 5. C’est parfois juste un moment, un plan ou un regard qui nous reste d’un film. Bon… Mais je peux dire par exemple que j’ai beaucoup aimé Rester vertical d’Alain Guiraudie. Son cinéma en général m’inspire beaucoup. Je le trouve vraiment libre, il crée des paysages mentaux où le fantasme a la place pour s’exprimer. Je retrouve ça aussi chez Joao Pedro Rodriguez, que j’aime beaucoup.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Cabane est mon tout premier film. Je suis comédien de formation et n’ai pas fait d’école de cinéma. C’est donc pour moi une joie immense que Cabane ait cette vie-là en festival, et particulièrement ici, à Clermont Ferrand. Je suis heureux qu’autant de spectateurs puissent le voir, chacun à sa manière, c’est ça qui rend le film vivant.
Le film a-t-il bénéficié d’autres diffusions publiques ?
Il sera diffusé sur Arte, dans le numéro de Court-circuit spécial Clermont-Ferrand le mercredi 8 février 2017 (voir Clermont dans la lucarne spécial festival 2017, ndlr). Le film a été sélectionné au festival Travelling de Rennes, du 9 au 14 février.
Pour voir Cabane, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.