Breakfast avec J’attends Jupiter
Entretien avec Agathe Riedinger, réalisatrice de J’attends Jupiter
Le film est très lumineux et les couleurs pastel abondent. Pouvez-vous nous parler un peu de ce choix esthétique ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le lieu où se déroule l’histoire ?
Bien qu’il semble fantasmagorique, le film raconte une extraction, un passage vers la lumière. Plus précisément, la recherche d’icônisation d’une jeune femme, l’autocélébration d’un style de féminité. Sans tomber dans le « girly » ou le cliché (bien que le cliché serve le propos), je voulais apporter un côté angélique, « madonique » à Liane, l’héroïne. Alors, toute la direction artistique du film a été conçue dans cet esprit, que ce soit dans le choix des comédiens, des costumes, des accessoires, des décors et bien sûr les partis pris techniques etc.…
L’idée de départ était d’inscrire le film dans une sorte d’Eldorado, d’Éden un peu malade. Je voulais que l’histoire se déroule dans un lieu qui pourrait connoter la douceur de vivre, la chaleur, mais que l’on sente un poids, une asphyxie, une raideur pour accentuer l’envie d’évasion de Liane.
Nous avons eu la chance de bénéficier du soutien de la région PACA et avons tourné dans le coin de Marignane. Cette région nous a offert de décors incroyables. Là-bas, les couleurs et la lumière abondent, et par endroits, tout est désertique, feutré, effacé par le temps, la chaleur et la poussière. On se croirait dans des décors de western, c’est très poétique ! Je voulais que l’on sente que le paradis n’est pas loin mais qu’il est derrière nous, qu’on était à deux doigts d’y goûter. Les décors sont assoiffés comme l’est Liane, la lumière est aveuglante. C’est aussi pour cela qu’elle est aussi colorée dans sa manière de s’habiller et de s’exprimer, elle cherche à compenser et dénoter.
Ce parti pris tient aussi de ma volonté de créer un pont entre les codes des cocottes et ceux de la télé-réalité. Les cocottes se pâmaient dans les fleurs, les dentelles et les diamants, les froufrous, les petits chiens enrubannés, les peaux lisses et poudrées, tout un univers faussement candide. Quand on regarde des tableaux ou photos d’époque, elles sont représentées dans des univers très féminin-girly, excessifs pour l’époque et charmants pour nous. Très lumineux aussi puisqu’elles étaient quasiment des icônes au sens mystique.
En adaptant cette mise en scène de la féminité d’hier à aujourd’hui, on glisse aisément dans la sur-féminité revendiquée par la télé-réalité. J’ai donc usé avec grand plaisir de ces codes. Trop de blondeur, trop de rose, trop de dentelle, trop d’ongles brillants et trop pointus. Trop de codes pour dire « je suis la femme » dans ce qu’elle a de doux et de puissant et surtout naïf. Au-delà de tout cela, j’ai une réelle fascination pour le mauvais goût, le too much. Je trouve ça beau.
Pourquoi n’en sait-on pas plus sur l’émission elle-même ?
Parce que peu importe la teneur de l’émission, ce qui compte pour Liane, c’est de « faire partie ». Liane est dans la projection de son avenir, elle le fantasme totalement et pourrait même l’inventer. Par ailleurs, le fait de ne pas en savoir davantage permettait de parler de L’émission, du Graal. Il n’y en a qu’un qu’il n’est pas nécessaire de trop raconter…
Comment avez-vous choisi et travaillé avec les jeunes actrices ?
Pour le rôle de Liane, je cherchais une jeune femme qui puisse à la fois incarner le vulgaire et le gracieux. C’était très important pour moi de créer un pont entre le monde de la télé-réalité et les cocottes. Ces femmes si raffinées et élégantes qui étaient des modèles de beauté et représentaient la femme alpha, adulée mais totalement immorale. Je cherchais un visage, une peau bien particulière qui nous fasse voyager dans le temps malgré les artifices très actuels dont elle allait être affublée. Ensuite, j’ai donné des « devoirs » à Sarah-Megan Allouch (qui interprète le rôle de Liane). Que ce soit des documentaires sur les cocottes à visionner ou des articles d’époque à lire, l’étude de tableaux et de photo de Liane de Pougy, la Belle Otero, etc… Et des heures de visionnages de télé-réalité. Il fallait qu’elle s’imprègne du raffinement de ces femmes du passé et de la vulgarité animale de ces femmes d’aujourd’hui, de la pugnacité et de leur candeur. Créer de l’élégance avec du mauvais goût et donc saisir l’univers des deux phénomènes. Comprendre comment les corps sont exposés, les motivations des candidats et des cocottes, ce qui est décrété comme beau et valable, et pourquoi.
On a ensuite travaillé la gestuelle bien particulière de certaines candidates de télé-réalité. La manière de bouger la tête, de basculer les cheveux, de bouger les doigts, de passer en une nano seconde de l’angélisme à la fureur viscérale. On a travaillé sur la musicalité du texte, les moments qui devaient être théâtralisés ou chorégraphiés. Liane étant dans le sur-contrôle et la mise en scène d’elle-même.
En ce qui concerne les autres jeunes actrices, je cherchais des jeunes femmes qui soient plus ancrées dans le réel, qui aient quelque chose de brut et spontané. Des filles qui puissent interpréter la sur-féminité tout en pouvant être animales et qui aient toutes beaucoup de cheveux ! Ce détail a mine de rien son importance… Pour ces personnages, c’est l’élément rassembleur, l’étendard à brandir pour dire « je suis une séductrice » et « je suis puissante ». Les jeunes femmes qui interprètent les copines de Liane n’étaient pas actrices professionnelles et ça a apporté une fraîcheur très intéressante. Elles se sont amusées à aller dans des extrêmes sans souci d’ultra bien faire et c’est ce manque de souci que je recherchais puisque leurs personnages sont aussi dans l’auto-mise en scène, le paraître.
Pareillement que pour Sarah-Megan, je leur ai fait une fiche personnage racontant pour chacune d’où elles viennent, que font leurs parents, où elles vivent, ce qu’elles aiment comme musique, leur niveau scolaire, leurs projets d’avenir, et des exemples de mimiques propres à chacune.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Bien sûr. J’ai voulu expérimenter une mise en scène que le long métrage m’aurait peut-être moins autorisé. Aller dans la radicalité quitte à frôler des moments plus expérimentaux. Que ce soit dans le rapport image-son, les valeurs de plans et leur confection comme des tableaux, les coupes un peu particulières, et distendre le temps…
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je ne suis jamais venue auparavant mais je trouve ça très excitant ! J’en attends de l’énergie !
Pour voir J’attends Jupiter, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.
Bonus : découvrez la vidéo de présentation du film par la réalisatrice.