Goûter avec Aya
Interview de Moufida Fedhila, réalisatrice de Aya
Comment avez-vous trouvé l’inspiration pour Aya ?
Aya se déroule en Tunisie, après la révolution tunisienne mais surtout après les élections d’octobre 2011. Les islamistes arrivent au pouvoir et gagnent la majorité des sièges au parlement. Commencent alors des changements de plus en plus radicaux dans la société tunisienne, jadis adepte d’un Islam modéré. L’invasion salafiste prend forme d’abord dans les rues et dans les institutions universitaires jusqu’à aller à la destruction d’œuvres d’arts, le saccage de salles de cinéma et l’atteinte aux monuments historiques classés à l’UNESCO.
Nous assistons à une « salafisation » de la société tunisienne sous le regard indifférent des responsables politiques mais surtout avec la complicité du parti islamiste Ennahdha, soutenu par la famille royale qui investit des millions de dollars pour prêcher l’idéologie du Whabisme salafiste. Ainsi, la Tunisie voit arriver une deuxième dictature religieuse qui prend la société en otage. La police interroge les femmes sur leurs tenues vestimentaires et traque les couples dans la rue. Les femmes non voilées sont intimidées dans les quartiers populaires où les milices salafistes font la loi. Pour se protéger des agressions des fanatiques religieux, les femmes doivent désormais porter le Hijab ou le Niqab. Mais le plus choquant, c’est de voir des jeunes filles de moins de dix ans, voilées et qui commencent à déserter les écoles civiques pour les nouvelles écoles coraniques.
La législation tunisienne en matière de droits des femmes était sans équivalent dans le monde arabo-musulman, depuis une soixantaine d’années. Avec l’arrivée des islamistes au pouvoir, ces droits sont bafoués en remplaçant l’égalité par la complémentarité de la femme à l’homme. J’ai senti un monde qui s’est effondré comme un château de sable. Au lieu de se battre pour plus de droits qui manquaient au code du statut personnel, dorénavant, il va falloir résister pour sauver les acquis. Il y de cela quelques mois, j’avais lu dans un journal qu’une petite fille de 6 ans est allée à l’école portant le Niqab. Le fait divers m’a tout de suite intéressée. J’avais envie d’en savoir plus. J’étais bouleversée, curieuse et stupéfaite. Je voulais comprendre ce qui a poussé cette petite fille à aller à son école en tenue islamique. Plusieurs questions ont traversé mon esprit. Sommes-nous conscients de la situation alarmante dans laquelle se trouvent les femmes et cette génération ? Sommes-nous prêts à bâtir une démocratie et un état qui respecterait les choix de chacun ? Qui est le responsable de ce qui est arrivé à cette jeune fille ? Est-ce juste son imaginaire fertile qui l’a poussée à enfiler cette tenue qui terrifie les femmes libres de mon pays ? Finalement, j’ai appris la vraie histoire, une histoire simple, de famille. Un père fanatique qui a obligé sa femme à porter le Niqab. La jeune fille, qui était très attachée à sa mère, a donc décidé de porter, secrètement, un tissu noir qu’elle a improvisé Niqab.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de questionner la place de l’Islam dans la cellule familiale ?
Aya intègre une vision des mutations dont la communauté maghrébine est le théâtre à un drame familial, psychologique et social. C’est à la fois une mise en abîme de l’hypocrisie morale et sociale de la religion et un travail qui cherche à capter le processus de déconstruction possible des valeurs imposées depuis la prime enfance. Aya place le fait divers dans une perspective universelle et s’ouvre sur des questions philosophiques en interrogeant la place de l’enfant dans le monde tout en intégrant, en même temps, l’empirique et le transcendantal.
Aya est aussi un questionnement sur l’amour et la foi. Les personnages par le conflit intérieur, la douleur, le trouble sous toutes ses formes, sont au cœur de leur vie et de leur être pourtant à la surface rien ne semble bouger. L’émotion déborde des corps sans exploser. Le corps de Meriam, toujours en mouvement dans des espaces confinés, déborde des limites d’un cadre trop étroit pour elle. Mon désir était de raconter le quotidien de cette famille ordinaire et de peindre cette micro société en laissant exister le film à travers le silence et les non-dits des personnages. Chaque geste devient alors une pénétration dans la chair du monde. À travers cette chronique familiale, je voulais élargir le champ des possibles, contre toute attente, vers la tragédie qui contribue à la libération immédiate de toutes formes de domination de la femme par l’homme. Une raison de plus pour moi de faire ce film, de dévoiler par la force de l’amour toutes les formes d’oppression et de violence. Comme le dit Paul Éluard : « C’est ici que la clarté livre sa dernière bataille », et je pense que c’est au sein de cette petite famille que cette clarté livre sa dernière bataille.
En quoi le rapport à l’enfance vous intéressait-il ?
Aya est un film sur l’enfance qui fait renaître le monde à travers chaque regard. Par sa vision ludique, l’enfant découvre la vie et devient capable d’intégrer tout à son jeu. Oscillant entre l’imagination et le rêve, il détient un pouvoir sur le temps et la mort.
L’enfant exprime la fragilité humaine. Se trouvant dans une situation où il est sans défense, il en est l’allégorie. La matrice principale de sa blessure est d’être « sans secours » face à un rouage de mécanisme dont il ne comprend pas ou n’approuve pas entièrement les règles. Aya est aussi un film sur le processus intime et douloureux qui constitue le premier pas vers l’émancipation de soi.
Je ne peux être que proche des enfants et de leur univers. J’aime filmer ce que les enfants n’ont pas perdu, leur capacité de regarder le monde sans nécessairement en avoir une opinion immédiate et en tirer des conclusions.
Aya est l’enfance en perpétuelle transgression, à regarder le monde toujours pour la première fois. Elle est une véritable plaque sensible qui observe les adultes sans les comprendre et capte l’origine du mouvement. Toujours un crayon dans la poche, ses journées sont rythmées par l’apprentissage du Coran à l’école coranique, qu’elle déteste, et les cours à l’école civique. Elle est très attachée à sa mère et ne cesse de l’imiter tout en portant un sentiment de responsabilité envers elle et le manifeste en couvrant ses habitudes interdites par Youssef.
Face au mutisme de ses parents, elle parle plus librement et exprime ses envies et désirs en s’appropriant les pensées de sa mère par son imagination qui instaure un jeu de miroir entre mère et fille. Par son geste tragique et enfantin à la fois (le port du Niqab), elle aide sa mère à se libérer. Dans cette éducation qui est la vie, il n’y a pas de différence entre elle (Aya) et l’adulte (Meriam). Elle est le support, pour mettre en place le fait que, malgré son savoir, Meriam n’est jamais très éloignée, à travers les obstacles, de cet enfant sans défense.
Comment avez-vous trouvé la jeune comédienne qui interprète Aya ?
Le film repose sur les épaules de la jeune actrice, et le pari était de trouver celle qui va poser ce regard complexe sur le monde. Le casting a pris des mois. Plus de 300 filles et toujours pas de Aya. J’allais finir par abandonner la réalisation du film et c’est là que May Berhouma est venue ! Sa mère l’a emmenée au casting deux jours avant sa fin. La première phrase de May était : « Bonjour je m’appelle May et je suis actrice ». Une confiance en soi perturbante de la part d’une enfant de 6 ans. Une amitié forte et beaucoup de patience pour révéler les talents de May, et elle en a ! Passionnée de cinéma, grâce à sa mère enseignante d’écriture scénaristique, May connaît tous les films de Kiarostami, de Makhmalbaf et de Vittorio de Sica. Elle avait confiance en ses capacité et n’a pas cessé de nous surprendre tout au long du film. Sur le tournage, il y a eu des moments de magie où May a compris qu’elle interprétait un rôle à égal aux adultes. Elle ne cessait de me poser des questions sur l’évolution de son personnage. Elle voulait tout comprendre. Vivant dans une famille libérée, elle m’a confié un jour que le plus grand défi pour elle était de jouer un rôle qui ne lui ressemble pas. J’espère qu’elle continuera à évoluer car je crois en elle.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage est un exercice d’équilibriste. Comment raconter une histoire, la réaliser et la réussir en peu de temps. C’est un format exigeant avec un vrai défi ! Je considère le court métrage comme une gymnastique cinématographie, qui nous prépare au défi du long métrage. La liberté possible est celle d’une production plus légère avec moins de contraintes que le long métrage.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est toujours surprenant et excitant à chaque festival. Les rencontres possibles et la découverte de nouveaux talents est une formidable occasion de découvrir les films sélectionnés. J’aime être surprise par des films qui marquent. Cela laisse une empreinte émotionnelle à jamais ! D’autant que je suis aussi productrice et le Festival International du court métrage de Clermont-Ferrand est le rendez-vous cinéma à ne pas manquer pour son incroyable synergie.
Pour voir Aya, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I8.