Dîner avec Le visage
Interview de Salvatore Lista, réalisateur de Le visage
D’où vous est venue l’envie de vous pencher sur le monde du jeu vidéo ?
J’ai toujours trouvé les images des jeux vidéo magnifiques. Sans être particulièrement joueur, sans passer des heures sur des réseaux, j’aime regarder ce que produit cet imaginaire, ses images, ses mondes, ses graphismes, ses personnages, ses narrations, et cela depuis les jeux des années 80. Quand on joue, on est quelque part entre le dessin animé, le cinéma, et le théâtre, dans le sens où l’on incarne un personnage dans un temps limité, avec un scénario plus ou moins figé. On prend part à une forme de fiction, on est soi-même le scénariste du film qui se déroule sous nos yeux en temps réel.
… Et l’idée de la focalisation sur le visage de Camille ?
Il est difficile de savoir d’où vient une inspiration. Le Visage doit autant au cinéma, qu’à la peinture figurative, aux dessins animés ou aux jeux vidéo, qui depuis déjà quelques années utilisent les visages de personnalités, acteurs, sportifs, pour interpréter les personnages de leurs sagas. À l’origine, il y a donc l’émotion du cinéphile que je suis devant les visages du cinéma ou de mangas japonais mais également l’émotion esthétique ressentie face aux icônes de l’art figuratif ou des jeux vidéo. Je crois aussi que j’ai toujours aimé observer les gens, essayer de deviner leurs pensées derrière leurs regards. Je voulais faire ressentir cette émotion au spectateur : s’abîmer dans la contemplation d’un visage pour en faire émerger les détails, les nuances, les expressions. Prendre le temps de ce chemin, de cette suspension du temps. Faire avec lui ce voyage vers tout ce qui en fait la profonde humanité, et donc la beauté. Qu’il vive avec ma caméra la même émotion esthétique que celle traversée par Masato, le créateur japonais, quand il regarde Camille/Solène. Si le spectateur arrive à un moment à partager ce sentiment de fascination, alors j’ai un peu réussi mon film.
Comment s’est déroulé le casting du personnage de Camille ?
J’ai regardé beaucoup de courts métrages, où j’ai pu découvrir toute une génération de comédiennes entre 20 et 30 ans. Je devais trouver à la fois un visage et une actrice ; cela semble aller de soi mais cette équation n’était pas si simple : il fallait une comédienne qui sache jouer, dont la présence me plaisait, qui pouvait incarner Camille, une jeune assistante de galerie d’art contemporain ; en même temps, il fallait qu’elle ait un visage qui se prête facilement à l’imaginaire des jeux vidéo. Les visages y sont souvent proches des mangas : ronds, avec un petit nez, un front large, une symétrie parfaite. Et je voulais accentuer cette direction : faire de Camille une sorte d’icône. C’est là que le champ des possibles s’est réduit considérablement. À cela s’ajoutait autre chose : Le Visage raconte une rencontre trouble, où circulent du désir et de la fascination entre les personnages. Impossible de choisir la comédienne sans voir quel « couple de cinéma » elle allait former avec Akihiro Hata, qui joue le créateur de jeux vidéo.
Je connaissais depuis longtemps le travail de Solène Rigot mais je savais aussi qu’elle incarnait un autre cinéma, plus naturaliste, plus incarné, et un peu éloigné du monde que je voulais dépeindre. La rencontre a été un véritable déclic. Solène m’a fait confiance, elle a accepté le jeu du film, de se mettre dans les vêtements de Camille, de s’amuser à livrer son visage au film sans retenue, à mon regard, à la caméra et à la machine qui l’a pixellisée. Elle formait aussi un couple évident avec Akihiro : très vite, j’ai su que leur présence dans le même cadre, leurs silences, leurs corps, allaient raconter la rencontre délicate du Visage sans avoir besoin de passer par la parole.
Le personnage de Masato Kimura est-il inspiré d’une personne réelle ?
Le personnage de Masato Kimura est inspiré d’Hideo Kojima, un créateur de jeux vidéo star, célèbre pour avoir inventé la licence planétaire Métal Gear Solid. Mais si Hideo est très drôle et bavard dans ses interviews, je voulais que Masato soit plus mystérieux et silencieux. Qu’on ne comprenne jamais ce qu’il pense, ce qui le traverse lorsqu’il pose le regard sur Camille ; jusqu’où son désir est réel ou virtuel, jusqu’où sa projection s’effectue sur une personne ou un personnage qu’il imagine à partir de cette personne. Dans mon film, le regard est aussi important que la personne regardée : on regarde le visage de Solène mais aussi le visage d’Akihiro, qui regarde Solène… Akihiro a ainsi donné à son personnage le regard d’un peintre devant son modèle, aussi intense que profond, loin du gamer médiatique et branché qu’est Kojima.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les éléments de jeu au sein du film ? (Design, réalisation…)
Après avoir rencontré plusieurs boites de graphisme, c’est à Solidanim, située à Angoulème, que le chantier des images vidéoludiques a été confié. La dernière séquence a nécessité plusieurs semaines d’élaboration et a été réalisée avec minutie par un graphiste génial, Gilles Aujard, et sa petite équipe. La séquence a d’abord été entièrement story-boardée. Puis nous avons créé le personnage de Solène à l’aide d’une motion capture, où ont été digitalisés ses déplacements, et surtout son visage pour rendre ses expressions, ses traits, son regard aussi fidèles que possible. Ce qui était essentiel pour la séquence finale, c’est qu’on reconnaisse parfaitement Solène, tout en voyant qu’il s’agit d’un personnage virtuel. Je voulais que cette dimension artificielle soit inquiétante, qu’on ressente le malaise de sa situation : est-elle dans le jeu ? Est-elle devenue quelqu’un d’autre ? Son personnage de jeu vidéo a-t-il encore quelque chose de Camille ?
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le format court-métrage a permis un film aussi ambitieux dans sa fabrication. Et je n’aurais sans doute jamais pu faire un long dans les mêmes conditions de liberté. Je salue ici mon producteur, Mathieu Bompoint, qui m’a laissé travailler comme je l’entendais, en me faisant confiance, comme il le fait avec chaque réalisateur qu’il accompagne. Il a trouvé des moyens conséquents pour aller au bout des exigences graphiques du Visage, notamment pour toute la partie jeux vidéo qui a demandé du temps et toute une équipe pour être à la hauteur de l’ambition du film.
Pour voir Le visage, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.