Dîner avec Open Your Eyes (Ouvrez les yeux)
Entretien avec Ilay Mevorach, réalisateur de Open Your Eyes (Ouvrez les yeux)
Comment vous est venue l’idée de cette visite à l’hôpital ?
Pendant l’intifada des couteaux, en 2015, j’ai accompagné ma grand-mère chez l’ophtalmo à Jérusalem pour le traitement évoqué dans le film, une injection en prévention de la cécité. Il y avait du monde à la clinique, comme tous les matins. Dans la salle d’attente, nous avons vu à la télévision qu’une nouvelle attaque au couteau avait eu lieu et que les blessés étaient acheminés vers l’hôpital où nous nous trouvions. Nous étions assis aux côtés de patients arabes qui attendaient leur rendez-vous. Un malaise général s’est installé, mais chacun comprenait le malaise de l’autre. Ma grand-mère m’a chuchoté qu’il fallait se méfier des Arabes. Puis au retour, elle m’a parlé d’un ouvrier palestinien, Zaki, qui refaisait les peintures de son appartement, où elle vivait seule. Ce soir-là, Zaki lui a demandé de l’héberger car le passage au check-point était long et qu’il lui restait du travail à faire. Elle a accepté, a fait le lit, lui a préparé à dîner et lui a souhaité bonne nuit. C’est ce mélange complexe de peur et de compréhension qui m’a inspiré le scénario du film.
À quel degré votre titre exprime-t-il la métaphore comme quoi il faut ouvrir les yeux sur la réalité qui nous entoure ?
Au plus haut degré. Cette métaphore s’applique d’une part à Ilana, merveilleusement interprétée par Asi Levi, qui est prête à sacrifier sa santé tellement elle a peur qu’un médecin arabe lui fasse du mal. D’autre part, Open Your Eyes propose au spectateur d’ouvrir lui aussi les yeux pour relativiser le comportement d’Ilana et comprendre qu’il est régi par une angoisse existentielle et non par une pensée cohérente. C’est cette dualité qui m’a poussé à choisir ce titre.
Vous êtes-vous renseigné sur le nombre de médecins arabes dans les cliniques de Jérusalem ?
J’ai grandi à Jérusalem et j’y ai passé presque toute ma vie. Mes parents sont tous les deux médecins, donc je connais ce monde de l’intérieur. Les médecins arabes font partie intégrante du système de santé israélien en général et des cliniques de Jérusalem en particulier.
Vous intéressez-vous aux relations mère-fils et souhaitez-vous retravailler sur ce thème ?
Pour moi, la famille est la seule chose dans ce monde qui soit immuable, absolue. C’est un terrain conflictuel qui me passionne et nourrit mon imaginaire. Je travaille en ce moment sur un long métrage qui parle d’une relation père-fils et de ce qu’ils sont capables de faire l’un pour l’autre.
La question des patients qui refusent un traitement primordial est-elle un sujet que vous souhaitez aborder dans d’autres films ?
Primordial est un terme relatif. Ce qui est qualifié de primordial par les uns ne l’est pas forcément par les autres. Je pense que pour ces choses-là, les gens doivent agir comme bon leur semble. Le film montre une personne qui refuse un traitement primordial dans une réaction épidermique, une véritable angoisse. Il montre aussi que la relation entre un médecin et son patient est aussi primordiale que le traitement médical, sinon plus.
Ouvrez les yeux fait-il partie d’un projet plus vaste ? Un long métrage peut-être ?
Je pense qu’il fait partie d’une vaste histoire qui s’appelle la vie en Israël. En ce moment, j’ai d’autres projets en cours, mais qui sait ?
Comment avez-vous choisi la berceuse ?
C’est une chouette histoire : je voulais une berceuse arabe mais je n’en connaissais pas. Pendant le tournage, toute l’équipe était hébergée chez mes parents, dont Shady Srour, qui joue le rôle du Dr. Khoury. La veille du tournage de cette scène, je lui ai demandé comment il faisait pour calmer ses enfants le soir. Il m’a chanté cette chanson et nous avons tous pu dormir sur nos deux oreilles.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le format court m’a donné la liberté de choisir le sujet et de le traiter à ma manière, mais m’a surtout poussé à me concentrer sur l’essentiel. Il faut établir une connivence avec le spectateur en très peu de temps, et donc bien choisir ce qu’on va mettre dans le court métrage – comme dans n’importe quel film, mais puissance dix. Cette restriction vous force à affiner votre propos.
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je ne suis jamais allé à Clermont-Ferrand et c’est un grand honneur de participer. Je pense qu’il y a de bonnes choses en compétition cette année, j’espère donc voir de bons films et faire de belles rencontres. Ce sera sûrement une expérience très stimulante.
Où voir votre film après le festival ?
Le film sera projeté le mois prochain au festival du cinéma israélien de Paris et sur d’autres festivals dans le monde entier. Pour l’instant, il est seulement disponible sur T-Port, un marché professionnel en ligne de courts métrages. Mais je suis ouvert à toute proposition.
Est-ce que vous participerez à d’autres événements pendant le festival de Clermont-Ferrand ?
Je participerai aux débats du matin et j’irai voir des séances. Sinon, vous me trouverez au stand des boissons fraîches.
Pour voir Open Your Eyes, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.