Lunch avec Le Marcheur
Entretien avec Frédéric Hainaut, réalisateur de Le Marcheur
Combien de types de dessins avez-vous utilisés en tout ? Quelle part avez-vous faite sur papier ?
Le trait a été dessiné sur tablette graphique de style Cintiq et la couleur a été réalisée sur papier machine au pinceau, à l’écoline, au feutre et au crayon. C’était un désir d’utiliser du papier courant, sans prestige, comme on prendrait note sur un coin de feuille. J’ai récupéré du papier déjà utilisé pour les premières couleurs, ce qui a posé quelques problèmes de transparence au scannage. J’ai donc finalement opté pour des feuilles vierges. Un de mes principaux objectifs graphiques était de donner l’impression que le dessin était spontané, réalisé dans l’urgence, croqué sur le vif, exécuté sans « chichi », sans virtuosité. Je passais sans importance au rythme de 8, 12 et rarement 25 images par secondes en exploitant le plus possible de boucles. Il est préférable de privilégier les intentions à la technique.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question de l’usine aviaire ?
La question de l’usine aviaire a découlé d’un dessin réalisé sans objectif précis. Il représente un homme en uniforme, penché en avant et tenant les pattes d’une poule qui se débat. Sur les réseaux sociaux, il est possible de lire des témoignages de travailleurs du secteur aviaire, des conditions horribles d’élevage, ce qui permettait un parallèle évident avec les contestations de certains indignés.
Comment avez-vous eu l’idée de ce personnage qui décide de tout arrêter ? Lui avez-vous imaginé des amis, des parents ?
J’ai travaillé pendant quelques années en psychiatrie, dans un lieu culturel. Les personnes qui fréquentent le lieu vivent généralement seules, exclues des lieux publics, laissées pour compte, hors normes. À proximité, des indignés s’étaient installés et quelques personnes qui fréquentaient l’association allaient régulièrement leur rendre visite. Ce n’était pas un geste militant, c’était une envie de rencontre afin de briser leur solitude. Ils trouvaient du réconfort au contact des indignés. Ils étaient assimilés à leurs luttes, opprimés, mais pas engagés. La rencontre entre ces deux mondes m’a touché, et a été le moteur dans la réalisation du film.
Selon vous, est-il plutôt en marche ou en errance ?
En errance, évidemment. C’est pour moi le sujet principal du film. Chercher, se perdre, circuler…
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait que ses mots et ses émotions restent en cage ?
C’est la situation d’un grand nombre de personnes aujourd’hui. Ils intériorisent les difficultés, se sclérosent, subissent les peines, les contraintes, l’existence, ne trouvent pas/plus de sens dans le travail, dans la famille, dans l’avenir. Les sensations sont négatives, jusqu’à la maladie.
Êtes-vous particulièrement intéressé par la question du burn out et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ce thème ?
Ce n’est pas le burn out qui m’intéresse, ce sont les souffrances des gens et comment ils vivent avec. Suite à deux grands voyages au Congo, je désire dans un prochain film traiter entre autres de la souffrance, des variations autour de la souffrance, celles que j’ai observées et qui sont nombreuses dans leurs existences. Durant les voyages, enfants et adultes nous interpellent pour qu’on puisse entendre et témoigner la pénibilité de leurs vies.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Liberté de penser, liberté d’agir. Pas de story board, avançant plan après plan dans le désordre. J’ai beaucoup travaillé seul au niveau graphique, mes collaborateurs graphiques et sonores ont aussi, me semble-t-il bénéficié de ma confiance et d’une grande liberté artistique. J’ai été soutenu dans ma démarche par mon producteur qui s’inquiétait de la compréhension de l’histoire.
Pour voir Le Marcheur, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.