Breakfast avec Piled Cloud (Pile de nuages)
Entretien avec Cheuk Man Wong, réalisatrice de Pile de nuages (Piled Cloud)
Qu’est-ce qui vous a inspiré Pile de nuages ?
Je me suis inspirée de l’histoire d’un ami qui avait quitté la Chine pour venir étudier le cinéma à Hong-Kong. Étant donné les difficultés pour trouver un logement et la hausse des prix des loyers, beaucoup de personnes ne peuvent pas louer un appartement entier et doivent se rabattre sur une colocation. Mon ami a loué une chambre chez un vieil homme et partagé l’appartement avec lui. Un jour, l’homme l’a accusé de lui avoir volé de l’argent. Il a appelé la police et a interdit à mon ami de rentrer chez lui. Je me suis rendue sur place pour l’aider à régler la situation. J’ai finalement pu entrer et voir le logement où vivait ce vieil homme. Il y régnait un tel désordre que j’ai compris qu’il ne recevait jamais la moindre visite. J’ai senti chez lui une immense solitude. Ensuite, l’image de cet homme assis tout seul dans son appartement m’a hantée pendant longtemps. Cet incident a eu l’effet d’un déclic. Pile de nuages est né progressivement de ce mélange de sentiments et d’incidents que j’ai connus.
D’un point de vue personnel, quels sont vos liens avec Hong-Kong ?
Je suis comme Zheng Yang dans le film. Habiter à Hong-Kong vous donne l’impression de ne pas savoir à quoi s’accrocher, même les rêves semblent irréels.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la différence d’âge entre les deux personnages ?
Ce que je voulais souligner dans le film, c’était que malgré toutes les différences entre les gens (d’âge, de culture, de sexe, de race etc.), certaines émotions sont universelles, comme par exemple la solitude et l’envie d’avoir quelqu’un pour s’occuper de nous. Ce sont ces sentiments communs qui nous relient.
Comment avez-vous trouvé les acteurs ?
Zheng Yang, l’étudiant chinois, est joué par Zheng Yang (eh oui, ils ont le même nom !). Nous avons fait nos études dans la même école, il était en section musique. Je l’ai remarqué sur le campus tandis que j’écrivais le scénario, et je lui ai trouvé un certain charisme. Il semblait passionné, mais ses yeux laissaient transparaître de la mélancolie. Je l’ai abordé pour lui proposer de jouer dans notre film, et il a accepté. C’était son premier rôle au cinéma.
Lam Dong, le propriétaire, est interprété par un acteur non-professionnel, Li Ying To, qui est devenu acteur après la retraite. À première vue, c’est un homme silencieux, sérieux, d’un abord difficile. Mais quand il parle, on dirait un enfant curieux, qui s’intéresse à tout ce qu’il voit. Ce contraste m’a semblé profondément humain et plein de vie. C’est pour cela que je préfère travailler avec des amateurs ou des débutants, et je suis toujours agréablement surprise.
Pourquoi avoir choisi de montrer le propriétaire sous les traits d’un taiseux ?
Il me semble que les habitants de Hong-Kong expriment rarement leurs émotions verbalement. On a plutôt tendance à éviter de parler de soi et à cacher ses émotions, ce que l’on pense vraiment.
Lam Dong est un ancien marin. En menant une vie solitaire en mer pendant de longues années, il s’est détaché des gens et de la société. Il est devenu marginal. J’ai voulu faire intervenir un deuxième marginal, Zheng Yang, venu habiter à Hong-Kong et partager son appartement, car j’étais fascinée par l’idée de ces deux marginaux qui vivent ensemble et se lient d’amitié.
La solitude est-elle un de vos thèmes de prédilection ? Pensez-vous faire d’autres films sur ce sujet ?
La solitude, oui, mais je suis aussi fascinée par les thèmes de l’échec et des marginaux. Ce sont les sujets qui dominent mon travail.
Êtes-vous particulièrement férue de cinéma russe ?
J’aime bien le cinéma russe, la littérature russe, ainsi que la musique classique.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
J’en suis encore au stade de l’exploration du court métrage en tant que forme artistique, car je n’ai que peu d’expérience dans la réalisation. Certes, par sa longueur, le court métrage permet à la production de s’adapter avec souplesse aux idées créatives. Cependant, je pense qu’en cinéma, la véritable liberté, c’est de se demander ce qu’est le cinéma pour nous, comment on perçoit et on imagine le cinéma. À mon avis, la longueur et le genre d’un film ne doivent pas être une limite, mais un outil servant à le mettre en valeur.
Si vous êtes déjà venue à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
C’est la première fois que je participe au festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. J’ai eu quelques échanges par e-mail avec les organisateurs et j’ai l’impression qu’ils sont passionnés, sincères et respectueux de chaque film et de chaque réalisateur. Cette attitude positive est sans doute un des facteurs du succès de ce festival, et c’est pour cela que des gens du monde entier s’y rendent chaque année. Je suis très heureuse d’avoir la chance de m’imprégner de cette extraordinaire culture du court métrage dans le cadre du festival.
Où voir le film après le festival ?
Des projections sont prévues, principalement à Hong-Kong. Nous espérons toucher un public plus international, avec un peu de chance !
Pour voir Pile de nuages, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.