Goûter avec Erebeta
Entretien avec François Vogel, réalisateur de Erebeta
La musique est-elle à l’origine du film ou l’avez-vous choisie après avoir eu l’idée du voyage visuel ?
Je suis parti au Japon pour un festival (merci les festivals !) et je me suis beaucoup promené, à Sapporo où se tenait le festival et à Tokyo où j’ai passé quelques jours. Ce séjour a énormément stimulé mon inspiration. J’ai pris les ascenseurs, emprunté les escaliers de secours… la verticalité de la ville m’a fasciné. Se promener en long et en large, et de bas en haut, est ce qui a inspiré mon court métrage. La musique est venue après. J’ai cherché une musique traditionnelle à la fois pour le contraste avec le Japon moderne et aussi pour les sonorités “rebondissantes“ des percussions classiques. Le morceau “Kuroda Bushi“ avait toutes ces qualités, en plus d’un charme particulier lié à l’interprétation de la chanteuse Fumie Hihara.
Les paroles de la musique ont-elles un sens particulier ? Et “Erebeta » signifie-t-il bien « Ascenseur » ?
Oui, “Erebeta“ signifie “Ascenseur“. C’est un mot d’origine anglaise qui vient de “Elevator“. En ce qui concerne les paroles, il n’y a aucun rapport avec les ascenseurs. La chanson “Kuroda Bushi“» est une chanson folklorique ancienne qui parle de guerriers et d’alcool. Je ne comprends rien au japonais mais la transcription qu’on m’a donné des paroles me semble fonctionner avec les images. Ce qui se passe dans l’histoire est davantage évoqué que raconté, il est plus question d’impressions que de faits, du coup l’illustration visuelle peut partir dans des directions éloignées tout en provoquant des liens inattendus et riches avec le texte pour quelqu’un qui comprend la langue.
En réalisant Erebeta, à quel point étiez-vous porté par l’envie de créer de la poésie (ou du « wabi-sabi » ?) au cœur de cette ville ?
On associe souvent le court métrage à la nouvelle (et le long au roman) mais personnellement, je trouve que l’essence du court métrage est plus proche de la poésie que de la nouvelle, ne serait-ce que si on compare le temps de visionnage avec le temps de lecture (on peut aussi noter qu’une nouvelle s’adapte plus volontiers en long métrage). Je trouve d’ailleurs que le terme court métrage est assez pauvre, il évoque un mètre à ruban qui aurait perdu quelques centimètres ! Le “wabi-sabi“ dans mon film se trouve peut-être dans le mélange entre la façon de filmer brute et le côté sophistiqué de la post-production. Il y a aussi la confrontation entre l’ancien et le moderne qui apparaît entre les images et la musique.
De quelle manière avez-vous pu tourner les images ? Avez-vous utilisé des grues ?
Erebeta est entièrement filmé à pied. J’ai filmé à travers les vitres des ascenseurs de Tokyo, depuis la grande roue perchée en haut des immeubles de Sapporo. Certaines séquences sont issues de « morphings » entre des photos prises à chaque étage des escaliers de secours. Ce film a été élaboré sans plan, un appareil photo dans le sac, en filmant au hasard des promenades.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport à la neige et aux nuages ?
Mes deux voyages à Sapporo ont eu lieu en hiver. Il y avait de la neige et c’est donc ce que j’ai filmé ! Même si mes films ne sont pas des documentaires, j’aime filmer les choses telles qu’elles sont. Et puis je les restitue différemment en les déformant. La plupart du temps au cinéma, le faux est utilisé pour rendre le vrai. On dramatise les scènes avec la lumière pour rendre les images plus intenses, signifiantes ou même seulement plus lisibles. On ajoute de la pluie ou de l’orage pour accentuer des émotions. Paradoxalement, c’est l’artifice qui fait qu’on y croit. Dans mon travail, l’artifice se fait après, à partir d’images qui sont brutes. On pourrait presque dire que je fais du faux avec du vrai…
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
J’ai la chance de toujours avoir pu aborder mon travail de création en totale liberté. Je ne planifie rien, je filme en totale autonomie, sans autorisation et sans moyens. Je me laisse souvent aller par l’inspiration et je n’écris pas de scénario. Les choses que je vois autour de moi m’inspirent, des idées s’articulent autour d’impressions puis une structure filmique se met en place et ça donne une sorte de film. Il m’arrive aussi d’avoir des doutes sur cette pratique assez improvisée et de me dire que je devrais davantage écrire ! Mais cette grande liberté est aussi possible parce que mes films sont décalés et bidouillés. Un court métrage traditionnel est aussi complexe qu’un long métrage. Il nécessite de la lumière, un matériel caméra hors de prix, la régie, le maquillage, etc. On a besoin des mêmes choses pour les formats courts mais pendant moins de temps. Les équipes sont les mêmes. Et normalement, le générique d’un court devrait être le même que celui d’un long ! Malgré tout, je trouve qu’il y a plus de liberté dans les courts métrages, peut-être parce que le public a moins d’attendes formatées quand c’est court, du coup il est plus ouvert à découvrir des choses hors normes…
Pour voir Erebeta, rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.