Dernier verre avec Matador
Entretien avec Matthias Jenny, réalisateur de Matador
Pouvez-vous nous parler de la genèse de Matador ?
Matador est née à l’intersection de deux envies. D’une part, l’envie de parler de personnages qui ne se sentiraient représentés ou écoutés par personne dans la société. Oubliés de tous, laissés pour comptes, ils sont prêts à basculer, à ne plus respecter des lois qu’ils estiment faites pour protéger les « autres ». En creux, c’est le dessin d’une société où chacun est obnubilé par ses problèmes sans prêter attention à ceux de ses voisins ! D’autre part, j’ai découvert un peu par hasard le métier de « tueur » dans les abattoirs. Ces hommes et ces femmes chargés de tuer les bêtes pour que tous ceux qui le souhaitent puissent manger de la viande. Je trouvais intéressant ces personnes formées à tuer, dont la fiche de paie indique « tueur » comme profession et qui le font parfaitement au sein d’un abattoir. C’est un thème récurrent dans les films d’espionnage : qu’adviendrait-il si notre meilleur agent s’évanouissait dans la nature ? De la même manière, je trouvais l’idée séduisante de laisser un tueur seul au milieu d’un champ pour voir ce qui arrive !
Qu’est-ce qui vous a donné envie de porter à l’écran le monde ouvrier et rural, relativement peu mis en scène au cinéma ?
En fait, je ne peux pas répondre pour tous les autres qui ne tournent pas dans ces conditions. Pour ma part, je n’y vois que des avantages. Comme mes personnages sont à la marge socialement, je voulais les inscrire dans des décors à la lisière entre deux mondes : la ville et la campagne. Entre les grands espaces et des lieux plus confinés. Par exemple, Jean et Léo habitent dans un immeuble à la limite d’une petite ville juste en bordure des champs. Ils aperçoivent les grandes étendues depuis leur petit balcon mais n’ont pas de jardin. La boite de nuit d’Huguette a poussé tel un champignon au milieu des champs, c’est le symbole de la cohabitation contrariée entre les humains et la nature. De manière plus pragmatique, je trouve ces décors incroyablement beaux et effectivement peu vus au cinéma alors que leurs habitants peuvent tout à fait vivre des histoires à portée universelle. Tout est réuni pour y faire de beaux films !
Matador est l’histoire de plusieurs solidarités : entre les deux amis mais aussi entre Léo et sa grand-mère. D’où est venue l’idée de faire reposer le film sur cette relation assez peu commune entre deux générations qui cohabitent ?
Quand je mets sur la table les éléments cités plus hauts (des personnages déclassés, en marge de la société, prêts à tuer des bêtes directement dans les champs), je trouve qu’on peut basculer dans un film noir et social sans recul. Du coup, je cherchais un élément pour apporter plus de légèreté dans le ton. C’est à ce moment qu’est apparue Huguette et avec elle la promesse d’un décalage. Elle connait les deux héros depuis leur naissance et comme toutes les grands-mères, elle ne peut les voir que comme des anges. S’installe alors un jeu plus ou moins conscient entre les trois personnages pour cacher leurs véritables faits et gestes. L’ironie de toute cette histoire, c’est que j’ai piqué beaucoup d’éléments à mes propres grand-mères pour construire Huguette et qu’aujourd’hui elles ne veulent pas voir mon film parce qu’elles ne veulent pas se rendre compte « des bêtises que je pourrais raconter » !
De manière générale, quel regard portez-vous sur la visibilité des courts métrages aujourd’hui ?
C’est mon premier court métrage et Clermont Ferrand est le premier festival en compétition pour Matador. Je ne suis malheureusement pas la personne la mieux qualifiée pour parler de la visibilité des courts métrages. Reparlons-en dans un an !
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
La liberté principale dans le cas de Matador se situe surtout au niveau du scénario. Au lieu de raconter l’intégralité de la réflexion psychologique des personnages jusqu’à commettre leurs crimes et ensuite les voir se dépatouiller avec leurs erreurs – ce que permet de faire un long métrage -, je les saisis comme un instantané dans leur montée d’adrénaline ! Je raconte juste un état, un coup d’éclat qui, je l’espère, amènera des discussions avec les spectateurs !
Pour voir Matador, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.