Goûter avec Raymonde ou l’évasion verticale
Entretien avec Sarah Van den Boom, réalisatrice de Raymonde ou l’évasion verticale
Pourquoi vouliez-vous pour Raymonde un environnement rural, le jardin, la Nature ?
Parce que pour moi, le décor bucolique de Raymonde fait partie de l’histoire, c’est un contexte indissociable du personnage. Raymonde est une femme de la campagne d’autrefois, elle a peu d’éducation mais une connexion directe avec la nature. Elle vit à l’écart du village et elle tente en vain (et très maladroitement) de s’intégrer à la vie des habitants de qui elle est très mal vue. C’est la folle, la sorcière du coin. Donc elle est en marge, socialement et géographiquement. Elle tente de se conformer aux exigences sociales (et en particulier
religieuses), mais au tournant de sa vie elle s’aperçoit que tous ses efforts n’ont mené à rien. Elle se tourne alors vers « son âme sauvage » et plonge dans une dimension animiste. La nature est une force autour d’elle qu’elle combat tout d’abord et à laquelle elle se livre ensuite. Je me suis inspirée de personnages féminins de ma famille, la maison de Raymonde est directement inspirée de la maison de mes arrière-grands-parents en Bourgogne que mes oncles ont conservée dans son état d’origine jusqu’au contenu des placards et du grenier où on trouve de vieux complets-vestons et des robes à corsets. C’est un univers qui me parle tellement que, d’une certaine façon, j’ai l’impression d’avoir un peu grandi dans cette époque de l’entre-deux-guerres. C’est aussi pour ça que l’histoire de Raymonde est difficile à situer dans le temps : la plupart des éléments appartient au passé et puis il y a ce minitel improbable sur lequel elle travaille… Bref, Raymonde appartient à un monde rural et suranné.
Comment avez-vous travaillé l’animation, en particulier les corps, les matières ?
L’animation a été faite à JPL films, à Rennes. J’avais envie depuis le début de travailler sur des matières riches et douces. Je voulais un film visuellement riche en textures, en particulier celles de la nature, et celles des différents plumages/pelages des personnages. Avec Jean-Marc Augier et Fabienne Collet, nous avons réfléchi aux différents matériaux des décors et en parallèle David Roussel et Anna Deschamps m’ont proposé des solutions pour les marionnettes. Tout a été pensé de front dans un souci de réalisme avec un grand sens du détail pour donner cette impression d’un monde réduit où on pourrait se glisser pour y vivre. L’animation a été faite avec grand talent par Gilles Coirier, Souad Wedel et Marion Leguillou qui se sont appuyés sur la voix de Yolande Moreau et ont réussi à donner toute son âme à Raymonde.
Pourquoi vouliez-vous que les personnages soient représentés par des animaux ?
À la base, le personnage de Raymonde m’est apparu comme une évidence : une femme au corps de chouette qui aurait des difficultés sociales. Et puis son histoire s’est tricotée autour d’elle. Si on observe bien, les animaux du village sont des animaux domestiques alors que Raymonde et la femme corbeau de la fin sont des oiseaux de mauvais augure, qui vivent en périphéries des villages. Et puis je ressens un lien très fort avec les animaux, je trouve qu’ils ne sont pas très différents des hommes, j’avais envie de brouiller les frontières
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la grande solitude de Raymonde ? Son lien à la religion devait-il être la seule évasion possible ?
C’est une bonne question. Ce qui m’intéressait ce sont les efforts qu’elle fait (et qu’elle semble avoir fait toute sa vie) pour se trouver un compagnon, satisfaire aux exigences de sa religion qu’elle prend vraiment au pied de la lettre, organiser son quotidien, alors qu’en fait elle est d’une nature autre. J’appartiens à une famille d’artistes peuplée de gens très distraits, très timides et qui ont beaucoup de problèmes d’organisation et donc, par conséquent, de confiance en eux. D’autre part nous avons découvert sur le tard l’autisme de notre fille, qui n’a été diagnostiquée qu’à 18 ans lorsqu’elle a fini par faire une phobie scolaire énorme. Elle a donc courageusement lutté toute sa vie pour se conformer aux règles sociales jusqu’à ce qu’elle comprenne pourquoi elle avait autant de mal. Et ce jour a été véritablement libérateur pour elle comme pour nous ses parents. Elle s’est autorisée à être elle-même. Donc le malaise social de Raymonde, c’est quelque chose qui me parle à bien des niveaux. J’ai imaginé Raymonde d’emblée comme une autiste qui s’ignore, dans un monde qui ignore jusqu’au concept de l’autisme. Son évasion n’est pas tant dans la religion que dans la
sublimation du réel et dans le lâcher-prise. Au départ, je voulais représenter ça par l’art, et en particulier par le chant, mais le chant d’un hibou est assez restreint et j’ai trouvé cette limite intéressante.
Il faut qu’elle aille plus loin que ça et qu’elle « change de dimension », qu’elle largue les amarres.
Comment avez-vous travaillé le rythme du film ?
De façon très intuitive, ça s’est fait à l’animatique en grande partie… J’ai travaillé avec une monteuse québecquoise que j’aime beaucoup, Annie Jean, qui a une grande intelligence et qui me donne son regard expert quand j’ai trop la tête dans le guidon.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Oui, le format court métrage permet tout d’abord d’aborder des sujets plus farfelus. Quand on fait un long métrage, le budget engagé en animation fait qu’on a tendance à penser le film d’emblée comme un produit. Il faut cibler le public, être sûr de rentrer dans ses frais sous peine de couler la production. C’est une autre logique. Je n’aurais pas pu raconter cette histoire de chouette dépressive en long métrage, personne ne m’aurait donné un sou pour ça ! D’autre part le court métrage, comme la nouvelle par rapport au roman, permet par sa concision de créer une petite « pastille temporelle ». On est obligé d’en dire beaucoup en peu de temps. C’est comme un petit bonbon qui laisse un goût durable !
Pour voir Raymonde ou l’évasion verticale, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.