Dîner avec Desecho (Déchets)
Entretien avec Julio O. Ramos, réalisateur de Desecho (Déchets)
Vous êtes-vous toujours intéressé à la question des travailleurs clandestins ? Avez-vous d’autres projets sur ce thème ?
En tant qu’immigré aux États-Unis, j’ai toujours été intrigué par les histoires d’immigrés. L’immigration clandestine en fait partie, mais pour être précis, ce film parle de trafic de main d’œuvre. Les ouvriers que l’on voit dans le film, à l’exception du chef de chantier, sont des esclaves des temps modernes. L’idée de ce film m’est venue à une époque où une amie faisait rénover sa maison. Un jour, elle a trouvé un message écrit à la main sur son palier. Le message provenait d’un ouvrier qui, dans un anglais imprégné d’espagnol, demandait à être payé pour le travail effectué. Il avait laissé son numéro de téléphone, je l’ai donc appelé. J’ai appris qu’il était engagé par quelqu’un que mon amie ne connaissait pas. Je lui ai promis de m’en occuper. Mon amie, qui avait fait appel en toute légalité à une entreprise de travaux, a contacté le sous-traitant, qui lui a affirmé qu’il s’agissait d’un malentendu et que tout allait rentrer dans l’ordre. Elle n’a jamais eu de nouvelles de cet ouvrier, elle n’a jamais su ce qu’il était devenu. Après quelques jours, j’ai tenté d’appeler l’ouvrier : son téléphone n’était plus en service. Je me m’interroge donc : qui sont les gens qui construisent les maisons américaines ? Que savons-nous sur eux ? D’où viennent-ils ? Qui les a engagés ? En approfondissant mes recherches sur les immigrés clandestins travaillant sur les chantiers, j’ai appris qu’il y avait des cas de trafic de main d’œuvre. C’est une forme d’esclavage qui existe aux États-Unis et partout dans le monde. L’organisation internationale du travail (OIT) estime à 21 millions le nombre de personnes dans le monde exerçant un travail auquel elles ont été forcées ou leurrées, et qu’elles sont dans l’impossibilité de quitter. Les sous-traitants et les employeurs deviennent trafiquants de main d’œuvre, en faisant de fausses promesses de salaires mirobolants et en forçant des gens désespérés à travailler dans des conditions atroces. Bien loin des promesses, les employeurs exercent une telle emprise physique et psychologique que leurs victimes pensent n’avoir d’autre choix que de travailler de longues heures pour un salaire de misère, voire aucun salaire. À cause de l’obsession de la main d’œuvre à bas coût aux États-Unis, la politique d’immigration a imbriqué la vie quotidienne des Américains aux transgressions internationales du trafic humain.
Avez-vous fait des recherches sur les accidents du travail sur les chantiers ?
Oui. Les accidents du travail sur les chantiers sont courants. Mais il est difficile de savoir combien concernent des travailleurs clandestins. À vrai dire, c’est le point de départ de mon histoire : qu’arrive-t-il lorsqu’un ouvrier en bâtiment clandestin est blessé sur un chantier ? Et s’il s’agit d’un esclave ? Si le trafiquant a investi sur chacun de ces hommes, va-t-il renvoyer le blessé ? Le laisser mourir ? Le renvoyer chez lui ? Comment le trafiquant rentabilise-t-il son investissement ?
Connaissez-vous le nombre officiel de travailleurs clandestins qui décèdent chaque année à la suite d’un accident du travail ?
Il est difficile de savoir combien de travailleurs clandestins meurent chaque année dans un accident du travail, mais je dirais que les incidents liés au trafic de main d’œuvre sont bien moins relatés dans les médias que ceux liés à la prostitution ou au trafic d’enfants. Il faut savoir que 11% de la traite des êtres humains correspond à du trafic de main d’œuvre. Mon intention avec Desecho était de mettre cette triste réalité sous les projecteurs et de parler des travailleurs clandestins du bâtiment et de leurs existences précaires. J’espère que notre pays va prendre conscience de son rapport avec ce trafic. En tant qu’Américains, nous devons nous intéresser de plus près à ceux qui travaillent à améliorer notre style de vie. Nous devrions nous occuper d’eux. Parler d’eux. Leur faire savoir qu’ils ont des droits malgré tout ce qu’on a pu leur raconter. C’est un mal qui touche de nombreuses industries aux États-Unis. Difficile à croire ? Regardez la jolie pomme rouge qui trône sur votre table. Qui l’a cueillie ? Le trafic de main d’œuvre ne se passe pas que dans des pays lointains. Il se passe chez nous et nous sommes probablement tous responsables.
Comment avez-vous réussi à faire monter la tension dans le film ? Dans quelle mesure vouliez-vous insister sur la hiérarchie entre les personnages ?
La montée en tension de l’action et les questions de hiérarchie entre les personnages sont liées aux questions que je viens d’évoquer. Le personnage principal est le chef de chantier, l’intermédiaire entre le sous-traitant et les ouvriers, l’esclavagiste et ses esclaves. Naturellement, il y a une certaine animosité entre le chef de chantier et ses hommes. Mais le chef de chantier veut les protéger de la violence du sous-traitant. Quand arrive l’accident, ils savent qu’ils sont en danger les uns comme les autres.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Raconter une histoire sous forme de court métrage est un art en soi. Dès que l’on se détache des habitudes des médias grand public, on a une liberté qui donne le tournis. Pour ce film, nous n’avions pas le temps de répéter et nous avons commencé la réalisation sans découpage technique. On savait qu’on voulait improviser et tenter des plans-séquences, ainsi que quelques masters. Sur le tournage, en travaillant avec les acteurs et l’équipe, nous avons compris qu’il fallait supprimer ces masters. Ce qui fait que l’histoire est racontée en très peu de plans.
Pour voir Desecho (Déchets), rendez-vous aux séances du programme I8 de la compétition internationale.