Lunch avec Nefta Football Club
Entretien avec Yves Piat, réalisateur de Nefta Football Club
Pourquoi vouliez-vous tourner à Nefta ?
À la base, je voulais tourner à Zagora dans le désert marocain et c’est d’ailleurs là-bas où est né le scénario, à la frontière algérienne. Je connais assez bien la région de Zagora pour y avoir marché 6 jours dans le désert avec un guide quelques années auparavant et pour y être allé à plusieurs reprises pour les repérages du film. J’ai été subjugué par l’espace désertique de la plaine de Zagora et je savais alors que le désert aurait une place prépondérante dans ce film. Alors que j’avais tous mes repérages au sud du Maroc et pris le temps de créer des connections avec les autorités locales, nous avons finalement décidé à peine un mois avant le tournage, pour des raisons essentiellement économiques, que le film se ferait en Tunisie. La région de Nefta était idéale car elle était à la fois à la frontière algérienne comme dans le script et nous offrait des décors pas trop éloignés les uns des autres (1h à 1h30 entre chaque décor) ressemblant à ceux de la région de Zagora.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au football ?
J’aime le foot mais pas le foot business, pas le foot de compétition, j’aime le foot sans enjeu car on peut y jouer partout à 2, 3 ou 22, il suffit juste d’avoir un ballon. J’ai eu envie d’évoquer le rapport entre le jeux et l’enjeu, la spontanéité et le calcul, cette différence qu’il y a entre l’enfance et l’adolescence, symbolisées ici par les deux frères. Mohammed prend un virage risqué en voulant revendre sa trouvaille mais il est empêché par l’idée candide de son petit frère qui veut simplement continuer à jouer avec lui comme avant et refuse inconsciemment de le voir grandir. C’est aussi évidemment un petit clin d’œil aux affaires de dopage.
Comment avez-vous choisi et dirigé les jeunes comédiens ?
Il était primordial pour moi de prendre mon temps au casting car c’est 80% du travail de coaching. Tout d’abord, la production exécutive tunisienne m’a proposé les enfants de leur book, majoritairement issu de milieux sociaux-culturels élevés, ils ne correspondaient pas vraiment aux enfants que je recherchais et étaient souvent poussés par leurs parents. La pression pour réussir était telle qu’ils agissaient pour la plupart en petits adultes et oubliaient de s’amuser dans les jeux de rôles que je mettais en place. Ils avaient aussi un langage trop châtié, trop retenu et c’est pourquoi, après quelques jours, j’ai décidé d’organiser un casting sauvage dans les quartiers très populaires de Tunis… J’ai alors vu passer une centaine d’enfants avant de rencontrer El Taief Dhaoui qui était d’un naturel et d’une aisance correspondant à ce que je voulais pour le rôle de Mohammed. Pour le personnage d’Abdallah, ce fut plus compliqué car la période de casting qui m’étais accordée par la production était terminée et je n’étais pas totalement satisfait du jeune comédien que j’avais trouvé pour le rôle. Un dimanche matin, quelques jours avant le tournage, nous nous sommes baladés avec Raja (la traductrice) dans une association de quartier où il y avait un cours de danse et j’ai tout de suite remarqué le petit Dali et j’ai su qu’il était le personnage. Il a fallu alors convaincre son père d’emmener son fils dans le désert hors des vacances scolaires. Je me suis assuré que le courant passait bien entre mes deux jeunes acteurs et qu’ils étaient complémentaires. Je leur ai fait répéter les dialogues afin qu’ils se les approprient bien, quitte à en réadapter quelques-uns pour qu’ils se sentent tout à fait à l’aise. Sur le tournage, je n’avais que quelques indications très succinctes à leur donner.
Comment avez-vous choisi les décors et travaillé le cadrage ?
Je savais ce que je voulais en termes de décors car j’avais déjà fait des repérages au Maroc.Nous sommes donc partis avec le chef op, le premier assistant et un fixeur pour trouver les décors qui me plaisaient dans les montagnes de Redeyef et dans toute la région de Tozeur. Nous discutions des cadres avec Valentin Vignet sur la base de ce que j’avais déjà pré-dessiné sur le story board. J’aime l’apport du dessin dans le découpage car cela permet de transmettre rapidement les intentions et les idées.
Avez-vous un intérêt particulier pour les comédies ?
Pas spécialement et puis on ne peut pas dire que ce film soit une comédie… mais plutôt un drame dans lequel il y a des moments de comédie… Je ne suis d’ailleurs pas pour une catégorisation des genres cinématographiques car dans la vie il y a des moments drôles et des moments dramatiques… En fait j’aime écrire et mettre en scène des personnages qui semblaient avoir tout prévu sauf …la vie, qui par essence est imprévisible. Cela peut vite conduire à des situations de comédies ou au contraire très dramatiques, tout dépend du point de vue où l’on se place.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
C’est plutôt une contrainte qui vous pousse à être plus efficace et plus créatif afin de trouver des raccourcis de mise en scène pour aller droit au but. Le court métrage est plutôt à mon sens un exercice contraignant. Réussir un court métrage est une gageure… en termes de rythmes, d’histoire et d’univers, de personnages auxquels il faut s’identifier en un temps très court, etc. L’efficacité est le maître-mot de cet exercice, avec dans la plupart des cas, des conditions de production difficiles. Pour ce film par exemple, nous commencions avec quelques handicaps : seulement 6 jours de tournage pour 18 minutes de film, au milieu du désert avec des enfants de 8 et 12 ans sans casque sur une mobylette avec de nombreux décors, un âne, un budget très limité et tout ça en langue arabe… Voilà le genre de contraintes avec lesquelles on s’est lancés dans cette aventure… Heureusement, j’étais très bien entouré notamment avec un producteur à l’écoute, un premier assistant hyper organisé et un chef op en béton armé !
Pour voir Nefta Football Club, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.