Lunch avec The Number
Entretien avec Manuela Gray, réalisatrice de The Number
Pourquoi ce sujet ? Qu’est-ce qui vous a sensibilisée aux « Number gangs » ?
Les « Number gangs » et leurs emblèmes sont au cœur de deux aspects de ma vie et de mon travail. En tant qu’artiste, je suis de longue date fascinée par la « violence », la puissance et la peur engendrées par ces emblèmes. Et puis, je suis sud-africaine, je vis à Cape Town, c’est donc une question qui touche notre communauté. En tant que tatoueuse, je voulais découvrir, comprendre et montrer ce qui est pour moi une expression vraiment authentique de cette tradition du tatouage en Afrique du Sud, cette voix vivante des marginaux.
Comment avez-vous accédé aux prisonniers ? Quels ont été les obstacles rencontrés ?
Il s’agit d’une organisation extrêmement secrète, cela va sans dire. En tant que femme blanche, je ne pouvais pas être plus éloignée de leur cercle habituel. Donc oui, il a été très difficile de les approcher. Grâce à mon activité de tatoueuse, nous avons trouvé un terrain d’entente, puis plus tard, par le biais de mon travail social au sein de leurs communautés (j’ai fondé une ONG qui aide à la formation et à l’instruction des anciens détenus qui pratiquent le tatouage dans leurs communautés).
Pourquoi avez-vous choisi cette fin ? Que va en retirer le spectateur selon vous ?
Il ne pouvait pas y avoir de « conclusion » à notre film dans le sens traditionnel du terme. Ce que nous proposons, c’est un aperçu, un moment, et un regard sur un aspect bien précis du Number gang. Il nous paraissait juste de donner la parole à Turner pour la fin, si énigmatique qu’elle soit. Il nous ramène à son enfance avec son poème… l’époque d’avant que toutes ces choses ne surviennent dans sa vie. Nous aimions beaucoup la puissance et la poésie dans sa voix, l’innocence que cela évoque. Cela nous a fait penser à William Blake… dont les gravures à l’encre ont toujours hanté mon travail.
Pouvez-vous nous parler de la prise de vues ? Pourquoi le noir et blanc ? Vous inspirez-vous d’autres documentaires, d’autres cinéastes ?
Pour The Number, j’ai travaillé avec Brendan McGinty à la photo, et nous voulions tous les deux une palette monochrome. L’encre noire de leurs tatouages nous a paru tout de suite évocatrice de cette palette. Et lorsqu’elle est soulevée dans le film, la question de la couleur, de ce que cela signifie pour ces hommes d’être « de couleur » (métis), semblait avoir plus de sens dans un film sans couleurs. Brendan et moi, nous nous intéressions tous les deux à la formidable histoire de la photographie noir et blanc… à la richesse historique que ces images représentent.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Je pense que l’abstraction inhérente au court métrage nous a réussi. Un bon court métrage, c’est parfois comme un poème… et un long métrage, de la prose. Cela peut être libérateur et permettre d’aborder un sujet énigmatique, de laisser des questions sans réponse, de ne pas se sentir obligé de peaufiner chaque élément narratif. Un peu comme une image de Cartier Bresson, Robert Frank ou Diane Arbus, c’est une photo que l’on prend sur le vif… et que l’on transmet, pour inciter le public à se poser mille questions et le laisser cheminer vers ses propres réponses.
The Number a été projeté en compétition internationale.