Goûter avec Barcelona
Interview de Prïncia Car, réalisatrice de Barcelona
Comment avez-vous rassemblé les comédiens ? Les textes ont-ils été écrits en amont ? Dans quel cadre ?
Invitée par l’association Ph’Art et Balises (association culturelle très active dans les quartiers sensibles de Marseille depuis plus de dix ans), j’ai mené pendant 3 mois l’année dernière un atelier de lecture-écriture avec 12 gamins de 14 à 17 ans et avec pour consigne : la réalisation d’un court métrage en bout de course. C’est la première fois que je menais de tels ateliers avec la charge de transmettre et de partager partiellement voire entièrement mon écriture. J’ai commencé par observer le fonctionnement interne du groupe de jeunes auquel j’avais à faire. Un groupe à l’énergie folle, qui s’autoalimentait, qui ne s’épuisait jamais et qui fabriquait, quand on ne les contraignait pas à rester assis autour d’une table, un magma explosif de blagues, d’idées, de pensées et de gestes incessants. Après plusieurs séances de rencontres et afin de retrouver et d’utiliser cette énergie unique, je leur ai proposé d’improviser à partir de situations très simples qui leur ressemblaient et qui les rassemblaient. Exemple : “Vous êtes tous ensemble dans un ascenseur qui tombe en panne, toi tu es claustrophobe, toi tu as très envie d’aller aux toilettes, toi tu dois réviser un poème pour le cours de français de cette après-midi et les deux du fond vous venez de rompre… Mettez-vous tous debout dans le coin et allez-y !“. L’effet de groupe préservé et la simplicité de la situation de départ ont délié les langues et ont rassuré les jeunes dans l’exercice difficile et effrayant qu’est l’improvisation. Ils étaient bien meilleurs, bien plus volontaires et plus justes que dans tous les exercices d’échauffement des séances précédentes. Un système d’écriture participatif collectif est ainsi né. Je filmais chaque improvisation, je les dérushais chez moi et je posais alors sur papier sous forme de scénario les meilleurs moments de l’improvisation précédente. J’en profitais pour agencer le tout, pour affirmer certaines directions trouvées en impro, pour rajouter discrètement d’autres éléments, quelques nouvelles pistes puis je ramenais ce bout de scénario sur papier à l’atelier suivant. Nous le lisions autour de la table, les jeunes corrigeaient directement à la main les dialogues qui selon eux sonnaient faux, puis nous lâchions le papier et, à partir de ce qu’il restait en mémoire, nous repartions en improvisation. Ainsi, d’un ping-pong entre eux et moi, intuitivement et dans le jeu, le scénario a été écrit. J’ai insufflé quelques idées, j’ai structuré le tout en tirant quelques ficelles mais ce sont leurs mots, leurs façons d’être, de se mouvoir, de s’émouvoir. Le jour du tournage, ils n’ont pas eu besoin d’apprendre le texte par cœur, il leur appartenait, ils le connaissaient mieux que quiconque, ils le vivaient en direct sous l’œil de la caméra mais aussi dans les coulisses.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au football et à Barcelone en particulier ?
Rien en particulier si ce n’est, comme dit précédemment, le fait de trouver des sujets simples qui rassemblent, rassurent, mettent en confiance et ouvrent l’imaginaire.
Comment avez-vous construit la transition entre le jeu sur l’imaginaire et l’interprétation dramatique ?
On répétait tous les mardis soir dans un réfectoire de centre aéré, sur des chaises. Un soir l’un d’eux a dit : “Est-ce qu’on aura un vrai bus pour le tournage ? Moi je veux aller à Barcelone !“. Une autre lui répond : “Mais avec ou sans bus, tu n’iras nulle part, on fait un film !“. Bingo ! “Et si finalement le bus n’existait pas, si vous faisiez semblant de tout, si cet endroit était une échappatoire mais sous forme de jeu. Un lieu où tout est possible mais via l’imaginaire… ?“. Concept très abstrait et difficile à leur faire accepter au début mais quelque temps plus tard, ils m’ont avoué jouer à ce jeu chez eux, pour contrer l’ennui.
Êtes-vous intéressée par la thématique de l’adolescence et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ce thème ?
Ce groupe de jeunes me passionne : leur liberté, leur folie, leur intelligence de l’instant, dans des contextes de vies dures ils répondent toujours présents, souriants. J’ai appris à réfléchir à l’acte créatif, eux non, jamais. Ils sont neutres face à la création, ils ont ainsi un tout autre instinct, beaucoup moins d’a priori, de honte, de peur, beaucoup moins d’enjeux, ce qui les rend définitivement plus libres. C’est fascinant, très enviable et extrêmement précieux. Cette année, nous allons reproduire la même forme de création collective mais plus largement, nous écrirons un long métrage en vue de le réaliser en fin d’année 2019. Le tout est encadré par une sorte d’académie de cinéma alternative créée par l’association Ph’Art et Balises : MOOVIDA.
Enfin, aviez-vous pensé la scène de chahut général en amont ?
En plus du scénario co-écrit avec les jeunes, pour créer de la surprise sur le tournage et pour continuer d’utiliser leur force d’improvisation, j’avais écrit dans mon coin quelques scènes “KIFF“ et les avais distribuées sur les trois jours de tournage. Des scènes de groupe, de mouvements de foule, des cris, des tableaux. La scène de chahut en faisait partie : je suis montée sur un chariot de cantine avec le chef op, un électro nous a poussé dans tous les sens et j’ai crié aux jeunes de s’amuser, de se bousculer, de se sauteur l’un sur l’autre et enfin de se relever et d’oser me faire face.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Dans un format court, un concept peut suffire, une vraie narration à rebondissements n’est pas indispensable. Dans un format court, l’OVNI est encore bienvenu.
Barcelona était projeté en compétition nationale.