Dîner avec Le mal bleu
Entretien avec Zoran Boukherma et Anaïs Tellenne, coréalisateurs de Le mal bleu
Comment avez-vous eu l’idée de situer l’action dans une palombière ?
Dès le départ on savait qu’on voulait faire un film sur le manque de confiance en soi et la peur de la perte de contrôle qui en découle. Quand on a commencé à chercher où pouvait se dérouler notre histoire, Zoran, qui est originaire du Lot-et-Garonne, a évoqué les palombières. En nous rendant sur place et en rencontrant beaucoup de paloumayres (chasseurs de palombes), nous nous sommes aperçus qu’il y avait un vrai parallèle possible entre la façon dont cette chasse se pratique et le système dans lequel Marie-Pierre enferme Jean-Louis.
Pourquoi vouliez-vous un environnement très masculin où Marie-Pierre est la seule femme ?
Pour mettre en lumière la névrose du personnage principal. Lorsqu’on découvre Marie-Pierre, on voit une femme très sûre d’elle qui mène une demi-douzaine de chasseurs à la baguette, mais plus l’histoire se déroule, plus on comprend qu’en fait, en s’entourant d’hommes, elle s’est coupée du monde réel et donc de potentielles rivales mais aussi et surtout de sa propre féminité.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le questionnement de la confiance en soi et en l’autre ?
Voir à quel point il est impossible d’avoir confiance en l’autre si on n’a pas (ou plus) d’amour et d’estime pour soi. Ce n’est pas de Jean-Louis dont Marie-Pierre doute, mais d’elle-même.
Comment avez-vous construit les accès de maladresse des personnages ?
Dans ce couple, chacun est enfermé dans un rôle dans lequel elle ou il doit suivre des règles précises pour préserver l’équilibre de leur rapport. À chaque fois que l’un des membres du duo veut sortir de son rôle et donc briser les codes établis, cela provoque un mini-séisme, d’où les maladresses. Au niveau du jeu, nous ne travaillons pas avec les acteurs de manière psychologique. Nous les dirigeons de façon très empirique, animale. Par exemple, pour que Marie-Pierre ait l’air vraiment à bout de nerfs lors de la séquence où elle débarque à la palombière, on faisait courir l’actrice (Sylvie Le Clanche) pendant une bonne dizaine de minutes autour du plateau. En étant épuisée, elle lâchait tout, laissait l’intellect au placard et cela donne une vraie justesse dans sa colère.
Et pourquoi le mal est-il bleu ?
Le mal bleu est une expression d’Alain Bougrain-Dubourg (célèbre défenseur de nos amis les animaux) qui désigne le fait de trop chasser la palombe. On aime énormément ce titre pour ce qu’il raconte dans son sens premier par rapport à la chasse et puis aussi pour ce qu’il a de poétique. Le mot bleu ça fait penser à “bleu“ comme des bleus sur le corps, ceux qu’on aussi à l’âme et puis les mots “bleus“ comme ceux du chanteur Christophe.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
La plus grande liberté du court métrage, c’est que nous ne sommes soumis à aucune pression commerciale. Nous avons la totale liberté d’écrire ce que nous voulons, comme nous le voulons et de le faire jouer par qui nous voulons. L’autre liberté du court, c’est le cadre qu’il impose : il apprend à être efficace et à savoir faire vivre un parcours émotionnel au spectateur en un temps record.
Le mal bleu a été projeté en compétition nationale.