Dernier verre avec Detainment (Garde à vue)
Entretien avec Vincent Lambe, réalisateur de Detainment (Garde à vue)
Comment avez-vous appris l’existence des transcriptions des interrogatoires de l’affaire James Bulger ?
J’avais douze ans au moment de l’affaire, et j’en ai entendu parler toute ma jeunesse. Je n’arrivais pas à comprendre comment ces deux garçons de dix ans avaient pu commettre un crime aussi horrible. Beaucoup de gens disent qu’ils étaient juste foncièrement « mauvais ». Mais je pense qu’il est plus facile de dire cela que de tenter de comprendre comment des enfants peuvent se rendre coupables d’un tel acte. Et je voulais en savoir plus, alors je me suis mis à lire tout ce que je trouvais sur cette affaire. J’ai fini par mettre la main sur les transcriptions d’interrogatoire et j’ai eu l’impression de voir quelque chose que peu de gens voyaient, tout en ayant, bien sûr, des appréhensions à me lancer dans le film tellement le sujet était sensible. L’indignation générale soulevée par ce crime a été sans précédent, le chagrin et la colère ont été unanimes, et même 25 ans après, ils sont encore palpables. C’est pourquoi, quand j’ai décidé d’adapter ces entretiens en un drame de 30 minutes, je tenais absolument à être précis dans les moindres détails, à ce que le film soit entièrement véridique, sans la moindre fioriture.
Pourquoi avoir intercalé les interrogatoires et les reconstitutions du crime ?
Le film alterne entre les interrogatoires de Jon et de Robert, car ils ont eu lieu en même temps, le tout intercalé de flashbacks sur le jour du crime, afin de raconter des bribes de l’histoire. En condensant 15 heures d’entretiens en 30 minutes, on n’a qu’un aperçu de la procédure d’interrogatoire. En termes d’écriture, c’était un peu comme de rassembler les pièces d’un puzzle, en s’efforçant de respecter le rythme et la structure de l’histoire, mais tout dans le film est complètement fidèle à la réalité. Nous avons fait des projections tests auprès de personnes qui avaient été touchées par l’affaire, et auprès d’un public étranger qui n’en avait jamais entendu parler. Leur retour a été précieux et a fortement influencé le film.
La présence des parents lors des interrogatoires est-elle un sujet qui vous a particulièrement intéressé ?
Je pense que la présence des parents était particulièrement importante lors de l’interrogatoire de Jon. Les détectives voyaient bien que Jon avait terriblement besoin d’avouer son crime, mais qu’il avait peur que sa mère ne l’aime plus s’il racontait la vérité. Quand il est poussé à bout, Jon est très agité, il se lève de son siège, il pleure comme un hystérique, il gémit dans les bras de sa mère, à un moment il se jette sur les genoux d’un policier pour qu’on le réconforte. Les détectives ont jugé que les paroles rassurantes de sa mère allaient à l’encontre de son besoin d’avouer. Il a donc été décidé que le père de Jon la remplacerait pour les interrogatoires, car il ne le rassurait pas autant, mais les deux parents ont joué un rôle décisif et encouragé leur fils à dire la vérité.
Comment avez-vous travaillé avec les jeunes acteurs ?
Je travaille depuis longtemps dans le casting et comme agent pour acteurs-enfants. En 12 ans, j’ai fait passer des milliers d’auditions à des enfants et j’ai appris les techniques les plus efficaces pour diriger les enfants. On a fait un grand casting, et vu des centaines de garçons pour les rôles principaux. On leur demandait de préparer une scène à l’avance, mais lors de l’audition, on les faisait improviser et on faisait évoluer la scène différemment. Dans le film, les détectives sont plutôt gentils quand ils posent les questions, mais pour le casting, j’avais demandé à l’acteur qui donnait la réplique de s’énerver contre les garçons lors de l’impro. Ils étaient pris au dépourvu et réagissaient spontanément. On a fini par sélectionner deux acteurs exceptionnels, Ely Solan, dans le rôle de Jon, et Leon Hughes dans celui de Robert. Ely n’avait jamais joué la comédie, et c’était la première fois qu’il passait une audition, mais c’est un garçon extraordinaire, très connecté à ses émotions, intelligent et attentif. Il campe le rôle de Jon avec brio, et pourtant c’est le rôle le plus difficile que j’aie jamais vu pour un acteur-enfant. Leon a lui aussi un talent d’acteur exceptionnel et son interprétation de Robert, un rôle tout aussi difficile, est fabuleuse. À l’origine, il devait incarner Jon et il était tellement bluffant qu’on ne pensait pas qu’il pourrait jouer Robert, mais quand il est revenu, il s’était glissé dans la peau du personnage – c’est un acteur très polyvalent, qui se laisse merveilleusement bien diriger. On a passé les mois d’été à répéter et on a fini par très bien se connaître. Leurs parents leur avaient vaguement expliqué l’affaire et ils avaient plein de questions à me poser. Nous en avons beaucoup parlé et étudié en profondeur qui étaient ces garçons et quelle était leur relation, mais ils ont aussi compris la gravité de l’histoire et à quel point le sujet était sensible, encore aujourd’hui. Au fil des répétitions, nous avons beaucoup fait improviser les garçons dans leur personnage. Ainsi, au moment du tournage, ils étaient extrêmement bien préparés et très à l’aise dans leur rôle. Pour eux, c’était un cadre de travail très chaleureux et sympathique, et ils ont adoré cette expérience. Mais il y a un certain nombre de scènes très difficiles car très intenses, et la plus grande difficulté consistait, à mon avis, à sonner juste dans ces moments-là – ces scènes devaient avoir assez de profondeur et de naturel pour faire oublier au spectateur qu’elles sont jouées.
Pourquoi avez-vous décidé de ne pas montrer le procès ?
Le film donne un très bref aperçu de ce qui s’est passé lors des interrogatoires, mais l’histoire est bien plus compliquée, notamment celle du procès, qui est impossible à raconter dans le cadre d’un court métrage. Il y a une autre dimension, et elle est tragique. Il est impossible de mettre en scène dans un court métrage la douleur inimaginable de la famille de James Bulger, et je pense qu’il serait déplacé de tenter de le faire en si peu de temps, mais je ressens énormément de compassion pour cette famille. Le film se concentre sur un seul aspect de l’affaire, mais j’espère que le spectateur restera sur sa faim et s’intéressera de plus près à ce drame.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Pour moi, les courts métrages offrent au spectateur un condensé de cinéma, qui présente des personnages, des événements et des idées de façon concise. Comme il n’y a pas la place de s’attarder sur le contexte, le court métrage doit capter immédiatement l’attention du spectateur et le garder en haleine jusqu’à la dernière image. C’est un format extraordinaire qui peut être très intense.
Detainment (Garde à vue) a été projeté en compétition internationale.