Breakfast avec Mais Triste que Chuva num Recreio de Colégio (Triste comme la pluie dans une cour de collège)
Entretien avec Lobo Mauro, réalisateur de Mais Triste que Chuva num Recreio de Colégio (Triste comme la pluie dans une cour de collège)
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi ce titre ? S’agit-il d’un proverbe brésilien ?
Non, il ne s’agit pas d’un proverbe brésilien. C’est une phrase extraite du livre Os Cus de Judas (« Le Cul de Judas »), de l’auteur portugais António Lobo Antunes, qui a écrit dans cet ouvrage cette phrase que j’ai beaucoup aimée : « triste como a chuva num recreio de colégio » (ou « triste comme la pluie dans une cour de récréation » en français). Je m’en suis souvenu lorsque j’ai commencé à réfléchir au film. Dans le titre brésilien, j’ai modifié son intensité en ajoutant « mais triste que » (« plus triste que ») afin de mieux exprimer un sentiment éprouvé par de nombreux Brésiliens en cette période où la haine est alimentée par une guerre hybride qui sévit depuis 2013. Aujourd’hui, le Brésil occupe une très bonne place sur les marchés financiers, qui fonctionnent main dans la main avec l’extrême droite.
Quel est le lien entre les différents éléments du film (le stade, le match de football, le coup d’État, etc.) ?
Le film établit des parallèles narratifs provocateurs afin de donner des indices de compréhension de ce qui se passe à l’heure actuelle au Brésil. Le film crée ainsi des chocs en réunissant différents espaces et périodes historiques : des images de la rénovation du stade Maracanã en 2011, le récit de la plus grande catastrophe de l’histoire du football brésilien lors de la Coupe du monde de 2014 qui s’est déroulée au Brésil, le vote pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, le discours sur la réforme du travail en 2017 donné par Michel Temer, devenu président du Brésil après cette destitution considérée comme un coup d’État. J’ai utilisé le football comme fil conducteur du récit, car c’est l’une des institutions qui nous permettent de comprendre le Brésil à partir du XXe siècle. En 2014, après la défaite humiliante de l’équipe brésilienne, une expression idiomatique est née. Chaque fois qu’il arrive quelque chose de mauvais au Brésil, on dit : « Un but de plus pour l’Allemagne. » Certains affirment que la défaite subie par le Brésil (qui a perdu 1 à 7) a posé un jalon dans la rivalité purement émotionnelle existant dans les discussions des partis politiques, lorsqu’une conversation se transforme en insultes, avec la croyance erronée que tout ce qui va à l’encontre de la pensée idéologique est un mensonge ou une erreur, comme s’il s’agissait d’un match de football en train de se disputer dans un contexte hostile.
Comment avez-vous choisi les discours pour le film ?
Le choix des discours a été la première étape du montage. La séance du vote pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff à la Chambre des députés a duré plus de 9 heures. J’ai décidé de ne pas l’écouter dans son intégralité et ai effectué une première sélection sur Internet. De nombreux discours de cette séance sont comiques, absurdement pathétiques et extrêmement moralisateurs. J’ai été tenté de les utiliser, mais j’ai choisi ceux qui représentaient le mieux la situation, ainsi que certains discours des députés de Rio de Janeiro afin de les associer aux images du stade Maracanã, qui se trouve à Rio de Janeiro. J’ai également utilisé le discours de la seule femme députée, qui est aussi la seule personne à défendre Dilma dans le film, afin de représenter une autre défaite à 7 contre 1 face à une majorité de députés masculins. Pour la seconde partie du film, j’ai écouté toute la retransmission du match Brésil/Allemagne, diffusée par la principale chaîne de télévision brésilienne. Il y a de cela plusieurs décennies, cette chaîne a soutenu un coup d’État militaire qui a marqué le début d’une longue période dictatoriale sanglante au Brésil, et elle a aussi joué un rôle important dans un autre coup d’État : la destitution de Dilma Rousseff puis l’emprisonnement de Lula, empêchant ce dernier de se présenter à l’élection présidentielle. Cette élection fut remportée par un des députés de Rio de Janeiro, un ancien militaire que l’on entend, dans la première partie du film, féliciter un ancien colonel qui avait torturé Dilma Rousseff durant la dictature militaire. Le locuteur de cette retransmission est le locuteur le plus populaire du Brésil, et il peut être considéré comme le meilleur représentant du patriotisme brésilien, de la « nation en chaussures de foot », du pays où tout s’arrange même lorsqu’il perd un match. J’ai ainsi créé une conversation entre le récit du match et la réforme draconienne de la législation du travail entreprise par le président de l’époque, Michel Temer, ancien vice-président de Dilma Rousseff, qui a participé au coup d’État monté contre elle dans les coulisses du gouvernement.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur le choix des images ?
Les images proviennent d’archives personnelles, elles ont été filmées entre 2011 et 2014 pour un projet inachevé. L’image d’ouverture, du directeur de la photographie John C.M., est l’élément qui a tout déclenché pour moi. C’est elle qui m’a donné l’idée de toute la structure narrative du film, depuis le choix des récits jusqu’aux images. Comme j’avais beaucoup de matériel brut et varié, une sorte de kaléidoscope qui montrait des aspects différents, j’ai décidé de concentrer l’image du film autour de la rénovation du stade Maracanã. Outre le fait d’avoir été les plus difficiles à réaliser, ces images ont aussi été les plus représentatives et les plus puissantes, esthétiquement parlant, pour l’idée du film. Il est important de noter que la rénovation du stade a été effectuée sous le gouvernement du PT (Parti des travailleurs), avec Dilma Rousseff comme présidente, accélérant ainsi l’action pour le développement menée par ce gouvernement. Avec ses bonnes choses et ses mauvaises. J’ai ensuite commencé par monter la partie sonore du récit (vote des députés fédéraux, récit du match et discours du président). Puis le travail fut semblable à celui du montage d’un clip dans lequel les narrations fonctionnaient comme une chanson déjà existante et les images, telles un puzzle dont les pièces pouvaient s’emboîter librement les unes dans les autres. Cependant, chaque choix d’agencement de ces images pouvait créer des changements tantôt subtils, tantôt radicaux, entraînant de petites modifications dans la bande-son. J’ai beaucoup expérimenté. Le film est terminé, car à un moment donné, j’ai décidé de ne plus y toucher. Sinon, je pourrais encore être en train de jouer avec ce puzzle d’images.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Oui, sous deux aspects. La plus grande partie de mon travail audiovisuel est liée au domaine de l’éducation et du cinéma. Le format court convient parfaitement à la salle de cours, et, d’un point de vue pratique, c’est le format le plus facile à produire. Il en était ainsi lorsque j’étais étudiant en cinéma à l’Universidade Federal Fluminense. Il y a quelques années, j’ai ressenti le vif désir de faire mes propres films, de réaliser des projets avec mes moyens, que je pourrais produire presque tout seul, durant mon temps libre. Le court métrage s’est alors imposé presque naturellement, puisqu’il me donnait une grande liberté de création, tout en restant faisable avec un petit budget, une équipe réduite et une logistique limitée par le manque de temps. Dans les quelques films que j’ai réalisés, l’échange d’idées a été intense, mais en faible quantité. Le fait d’être le réalisateur, presque l’unique producteur, le scénariste, le monteur et le monteur son de mes propres films m’a donné de la souplesse, mais a aussi entraîné des limitations esthétiques. Il s’agit cependant d’une stratégie délibérée de faire des films qui me correspondent. D’être un cinéaste bouche-trous, en quelque sorte. Ce qui compte, c’est d’être toujours en mouvement. Et faire un court métrage, c’est comme écrire une nouvelle ou une chronique. C’est du cinéma et de la littérature, quelle que soit la taille. C’est à la fois magique et puissant, avec l’avantage de pouvoir produire un plus grand nombre d’œuvres et, ce qui est le plus important, cela construit des ponts permettant de faire des rencontres. En voici la preuve tangible : moi j’écris, vous, vous lisez, et nous multiplions ainsi nos possibilités d’échange. Après tout, pourquoi faire des films ? Pourquoi sommes-nous vivants ?
Mais Triste que Chuva num Recreio de Colégio (Triste comme la pluie dans une cour de collège) a été projeté en compétition internationale.