Lunch avec Miller & Son (Miller & Fils)
Entretien avec Asher Jelinsky, réalisatrice de Miller & Son (Miller & Fils)
Pourquoi vouliez-vous que le film se passe dans un garage ? Et qu’est-ce qui vous intéressait dans les activités physiques, les outils ?
Je voulais que l’histoire se déroule dans une entreprise familiale, et un garage me semblait bien incarner les valeurs américaines et celles de la masculinité. Pour Ryan, le garage c’est la famille, avec toute l’histoire, la nostalgie et les lourdeurs qui vont avec. Le côté bien ordonné du garage s’oppose à l’immensité et au côté indéfini de la piste de danse où Ryan exprime sa féminité. Au moment du repérage, on est tombé de façon inespérée sur un garage tenu par une femme transgenre qui en plus d’être une incroyable professionnelle, a été notre consultante en mécanique et nous a partagé ses nombreuses connaissances en réparation-auto, vocabulaire spécialisé et outils spécifiques. Je me suis aussi documentée en allant voir de nombreux garages tenus par des familles dans des zones rurales d’Amérique et j’ai regardé beaucoup de vidéos de réparations auto. Et on a répété les différents gestes techniques sur place avant le tournage pour être sûrs qu’ils ne sonnaient pas faux.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à un personnage transgenre ?
Je suis genderqueer et je vois donc un intérêt personnel à ce qu’il y ait des représentations authentiques de personnages transgenres et transexuels à l’écran. Ce qui m’intéressait dans Miller & Son c’était plus d’observer le parcours émotionnel de Ryan que d’affirmer son identité ou de me servir de son expérience comme outil pédagogique. La question que pose ce film, c’est « qu’a-t-on à perdre ou à gagner en exprimant ce que nous sommes vraiment ? ». Transgenre ou pas, tout le monde a le souhait d’exister dans ce monde et a ses raisons de cacher ses sentiments pour s’adapter, avancer ou se protéger.Ryan se plaît dans le garage familial mais sait que sa féminité ne peut pas être admise dans ce contexte, alors elle la cantonne au monde extra-professionnel. En tant que personne de genre non-binaire, moi aussi je compartimente pour une question de survie et me retrouve souvent confrontée au choix entre parler ou me taire. Je voulais étudier ce phénomène et les compromis par lesquels passent ces personnes avant de se révéler. C’était important pour moi que l’acteur soit trans et/ou non binaire, et j’ai eu la chance de travailler avec Jesse James Keitel qui s’est tellement investit dans ce rôle.
Comment avez-vous travaillé la montée en puissance ?
Construire cette tension commence dès l’écriture, j’ai donc travaillé le rythme et les pics émotionnels dès l’étape du scénario. Dès qu’on a eu trouvé le lieu de tournage, je me suis mise à chercher un garage plus activement et j’ai réfléchi à comment ce qui se passe dans le garage et la position des personnages dans l’espace pouvaient accroître la tension dramatique. Je voulais que le public soit suspendu au point de vue de Ryan et vive son anxiété, alors nous avons cadré de manière à ce que les spectateurs voient les choses de son point de vue.
Quelle importance avez-vous accordé au silence dans la vie quotidienne de Ryan ?
Le silence joue un rôle important dans le film. On s’est plus attaché à ce qui est communiqué par les regards plutôt que par les mots. Je pense que le silence révèle beaucoup de quelqu’un. Ryan a tendance à garder la tête baissée et à se concentrer sur son travail plutôt que de discuter avec ses collègues ou ses clients. C’est une excellente mécanicienne et le silence fait partie de sa vie quotidienne mais est aussi une manière de faire face. Ryan se protège en observant son environnement, et en tant que public, nous sommes obligés de vivre dans ce silence et d’expérimenter ce stress d’avoir à dissimuler ce que l’on ressent.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Pour Miller & Son, le format court m’a permis d’explorer un événement particulier qui a marqué la vie du personnage. Je pense que le format court permet d’explorer et interroger un moment précis sans être limité et sans la pression d’avoir à maintenir une tension et l’évolution de différentes intrigues sur 90 minutes. Ceci étant dit, je suis ravie d’avoir profité de la liberté que m’a donnée le format court pour bâtir à partir de ça une forme plus longue puisque je travaille actuellement sur un long métrage.
Miller & Son a été projeté en compétition internationale.