Goûter avec Cultes
Interview du collectif (LA) HORDE, coréalisateurs de Cultes
À quel point êtes-vous intéressés par la question des rituels et avez-vous d’autres projets autour de cette thématique ?
Dans notre film Cultes, nous souhaitions explorer, comme son nom l’indique, la manifestation du culte, ses pratiques, ses performances ritualisées dans un cas précis : celui du festival. Slam, mosh pit, cercle, wall of death, etc, constituent des combinaisons de gestes à haute valeur symbolique et il est assez naturel pour nous de s’emparer de ces formes et de les questionner en multipliant les points de vue autour d’elles. Notre point de départ était une réflexion sur la forme du festival, qui en 50 ans – depuis la création de Woodstock jusqu’à nos jours – s’est vue évoluer d’un lieu de contre-culture anti-capitaliste en forme ultime de l’industrie culturelle ; un sanctuaire capitaliste rythmé de rites et de symboles. Cette forme est aujourd’hui très critiquée par des « puristes » et cela nous a questionnés sur l’ambivalence d’une telle manifestation. Y-a-t-il seulement eu une forme pure et originelle du festival ? Quels mythes originels entrainent la réactivation de symboles dénués de sens dans certains contextes : proposition de tatouages peace & love au milieu des symboles pop comme Bart Simpson. Quelles formes physiques se dégagent d’une telle manifestation et quelle expérience spirituelle ou physique traversent les festivaliers ? Ces questions sont récurrentes dans notre travail, sous des formes différentes, car il y a pour nous, toujours, dans le geste dansé et répété, une forme de rituel qui se dégage.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la relation entre rituels de vie et situations de mort ?
Dans notre travail nous essayons de trouver cette zone de gris, de réfléchir à des questions tranchées de manière moins manichéenne tout en dégageant un regard critique. Dans ce projet, les questions de vie ou de mort sont plus liées à la valeur symbolique de transformation que du passage d’un état à l’autre. On traite plus d’un mélange de pulsions, pulsion de vie, pulsion de mort. Cela s’est traduit par la formulation de plusieurs questions qui nous ont permis de structurer l’écriture du film. Peut-on encore vivre une expérience spirituelle dans ces nouveaux sanctuaires de consommation ? Les spectateurs réussissent-ils à créer leur propre expérience subversive comme autant d’individus constituant une masse ? Ces interrogations nous ont animés tout le long du tournage et permis d’affuter notre regard pour collecter des images qui correspondaient à nos questionnements. Tout en scannant la foule avec les caméras, nous avons essayé de capturer des moments de grâce suspendus entre paganisme désenchanté et spiritualité animale, liesse et inquiétude, extase et descente, désenchantement et lumière.
Comment avez-vous procédé pour les images de foules ?
Nous avons eu trois nuits de tournages sur les foules ce qui nous a permis de multiplier les points de vue. Trois dispositifs de caméra différents ont été utilisés, une Phantom montée sur grue, avec laquelle nous avons pu réaliser tous les grands ralentis. Une Alexa Mini montée sur grue elle aussi, qui nous a permis de survoler le public d’une manière plus picturale, et enfin, une Alexa LF sur pied, avec laquelle nous avons pu scanner la foule au loin, de dos, en ayant une très longue focale et un effet de surveillance céleste.
Quelle est la place de l’eau dans Cultes ? À quel point est-elle importante ?
Dans les songes, comme dans les mythes et les contes, l’eau est, avec la forêt et la terre, le plus grand symbole de l’inconscient. L’eau est profondément attachée à l’origine de l’existence, au décours de la vie et de la mort. Or le symbolisme des eaux est aussi pluriel, et rassemble plusieurs notions contradictoires. À l’eau calme s’oppose l’eau rapide. L’eau claire et bienfaisante que l’on boit aux sources et aux fontaines a pour antithèse l’eau mortelle des noyades et des déluges. C’est un élément qui parle de purification comme de punition, de naissance comme de noyade, de rite initiatique comme de fuite vers un ailleurs. C’est un élément pluriel qui nous a permis de renforcer le rapport ambivalent que nous souhaitons mettre en place entre les différents éléments du film.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Le court métrage est un format très libre qui permet de sortir des grands canons de la fiction et d’adopter des narrations disruptives. Il laisse aussi aux corps le temps de s’exprimer, de dégager un langage universel qui peut être lu par les spectateurs. Et, sans se voiler la face, c’est aussi un format qui permet de réunir des fonds suffisants pour faire œuvre.
Quelles sont vos oeuvres de référence ?
Le jardin des délices de Jérôme Bosch a été une grande source d’inspiration, notamment pour la structure du film. Cela nous a permis de réfléchir à une situation d’origine, et donc de faire exister le moment de construction du site du festival avant qu’il ne puisse accueillir la foule. Nous nous sommes aussi inspirés de beaucoup de vidéos de festivals sur YouTube, les plus intimes, où des bandes d’amis se filment dans les lieux, s’adressent à la caméra, celles plutôt style Jackass où des bandes reproduisent des motifs vus et revus sur internet : le binge drinking, la glissade dans la boue. Mais aussi les vues aériennes de drones qui filment les mouvements de foules, les mosh pits, les walls of death, etc. Et enfin, 1991: The Year Punk Broke, un documentaire de Dave Markey où on peut retrouver lors d’un live le geste d’un fan qui boit une bière au sol pendant le morceau Negative Creep de Nirvana.
Pour voir Cultes, rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.