Breakfast avec Mortenol
Entretien avec Julien Silloray, réalisateur de Mortenol
Pourquoi vouliez-vous faire un film sur le thème de la vengeance et envisageriez-vous de réaliser d’autres films sur cette thématique ou au moins l’incluant ?
Au début de l’écriture, il y a le désir de tourner un film à Mortenol avec des adolescents de ce quartier, sur une histoire inspirée d’un fait divers récurrent en Guadeloupe. Je voulais d’abord parler d’un sentiment d’injustice. La vengeance est arrivée ensuite, elle a donné une intrigue et un enjeu au film, mais elle n’est pas à l’origine du projet.
Où avez-vous tourné et pourquoi avez-vous choisi ces lieux pour le tournage ?
Nous avons tourné à Mortenol, une cité célèbre en Guadeloupe, qui symbolise toutes les autres même si elle est réputée être la plus violente. Je n’y étais jamais entré mais j’avais envie d’en savoir plus sur cet endroit mythique. En fait, c’est une cité comme les autres, avec ses problèmes sociaux mais loin du ghetto dangereux que tout le monde s’imagine. Mon équipe y a d’ailleurs été très bien accueillie. Ce décor, avec ses habitants amusés par notre travail, a même été le plus agréable de tous ceux dans lesquels j’ai tourné jusqu’à aujourd’hui.
Vous êtes-vous renseigné en amont du tournage sur des réalités vécues par des jeunes en situation de grande pauvreté et ce concept d’immeubles voisins hébergeant des clans ennemis ?
J’ai passé mon enfance en Guadeloupe. Même si je ne viens pas moi-même d’une cité, j’en ai fréquenté parce que j’y avais des amis. Je parle donc de choses que je connais ou dont j’ai entendu parler sur place. Le film s’inspire des affrontements entre bandes de jeunes de communes voisines. Ces affrontements sont rares, les morts aussi, mais il y en a suffisamment pour en parler et questionner cette violence qui est, selon moi, liée à la question identitaire.
Pensez-vous qu’il y ait de grandes différences avec les villes et quartiers pauvres de la métropole ?
La différence essentielle tient à la situation (néo)coloniale de la Guadeloupe : ces cités sont le symbole d’une domination, il n’y habite aucun blanc.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait que votre personnage principal en quête de vengeance soit un jeune garçon de 11 ans ?
Le film est un récit initiatique simple. Un passage à l’âge adulte par l’apprentissage de la tendresse. C’est pourquoi je voulais un personnage entre deux âges de la jeunesse, un enfant aux portes de l’adolescence encore influencé par le charisme de la violence, mais en même temps capable de tirer les leçons de l’échec de son odyssée mortifère.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au deuil familial et au fait de dépeindre différentes façons qu’il peut avoir de s’exprimer : apathie, colère, chagrin… ?
Mortenol est mon quatrième court métrage et, comme tous les autres, il parle de deuil. Je ne peux pas expliquer pourquoi ce thème m’obsède. Dans ce court métrage, le deuil s’exprime essentiellement par la colère. J’aurais voulu traverser d’autres sentiments, mais dans un film court, il y a peu de place pour la complexité des personnages. J’ai choisi la colère parce que je voulais tracer un récit rapide et efficace qui tire le spectateur jusqu’au dénouement sans pause.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
J’ai le sentiment d’être libre lorsque je fais un court. J’écris les films que je veux et je les tourne comme je veux, sans qu’un producteur ou un distributeur ne me contraigne à l’écriture, au tournage ou au montage.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Un chef opérateur m’a fait découvrir récemment les oeuvres de Minervini. Ses films, fabriqués dans un entre-deux de la fiction et du documentaire, donnent une grande impression de vérité tout en étant très poétiques. J’aimerais améliorer ma mise en scène en m’inspirant de son travail.
Pour voir Mortenol, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.