Lunch avec 16 de Decembro (16 décembre)
Entretien avec Álvaro Gago Diaz, réalisateur de 16 de Decembro (16 décembre)
Votre court métrage Matria a obtenu le grand prix du jury à Sundance. Félicitations ! Quel a été l’impact de cette consécration sur votre carrière de cinéaste ?
L’impact a été résolument positif. D’une manière générale, les gens sont plus disposés à prendre le temps d’écouter mes idées. Mais je dois batailler et bosser dur pour porter ces idées à l’écran. Cela dit, je ne voudrais pas qu’il en soit autrement, toute la beauté de ce processus réside dans le travail. L’impact aurait pu être plus important, mais j’ai fait des choix. Après Sundance, j’aurais pu m’installer à Los Angeles pour y travailler, mais il a toujours été clair que si je faisais du cinéma, ce serait sur le plan local (la Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne, est ce que je connais le mieux, ce que je me sens légitime de filmer) et dans des projets, que ce soient les miens ou ceux des autres, qui ont un certain code éthique et dans lesquels je puisse m’investir de toute mon âme. M’installer aux États-Unis aurait sûrement eu un plus grand impact, mais pas forcément positif. Je ne sais pas. Je n’y pense pas trop.
Le film montre une sorte de violence ordinaire. Pouvez-vous nous parler un peu de cet aspect du film ?
L’expression « violence ordinaire » décrit assez bien le film. L’histoire s’articule entre la mésaventure de Lucía et le miroir qui tend à nous montrer la banalité de cette violence, qui provient d’attitudes machistes considérées comme inoffensives et trouve son origine dans une perception erronée de ce qu’elle est vraiment et de ce qu’elle implique. Une violence qui a toujours trouvé sa place dans une société qui, jusqu’à présent, n’a presque rien fait pour l’éradiquer. Nous devons repenser certains modes de relations entre les hommes et les femmes, et cela doit passer par l’éducation.
Votre film montre avec brio comment les femmes gèrent cette violence en gardant le silence. Qu’est-ce qui vous poussé à aborder cet aspect fondamental de la violence envers les femmes ?Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette analyse, mais je comprends que vous ayez pensé que Lucía allait garder le silence. J’ai parlé à des gens qui pensaient le contraire. Tout reste possible. Nous avons fait exprès de laisser la fin en suspens, car après tout, peu importe ce qu’elle décide de faire : elle peut décider d’aller voir la police, de ne rien dire, ou de retourner voir Ruth et de lui raconter. Il ne nous revient pas de réfléchir aux conséquences ni de juger sa décision. Notre attention doit se porter sur ce qui se passe dans cette voiture. La question n’est pas : « Pourquoi n’es-tu pas allée voir la police ? », mais plutôt : « Qu’est-ce qui a poussé ces mecs à commettre ces actes, et que pouvons-nous faire contre ça ? » En ce qui me concerne, faire un film me paraissait la façon la plus efficace de contribuer, de participer à ce combat auquel je crois dur comme fer.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
La liberté qu’on a quand on n’a pas peur de prendre des risques et qu’on n’a pas à protéger son ego.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
J’ai rencontré le cinéma tard dans la vie. À vingt ans, j’ai commencé à me plonger dans les néoréalistes italiens. Je me souviens être tombé amoureux de ces films et j’y reviens toujours. Puis j’ai passé huit ans au Royaume-Uni et regardé beaucoup de films britanniques qui m’ont franchement influencé : Ken Loach, Andrea Arnold, Lindsay Anderson, Lynne Ramsey. Enfin, je m’inspire aussi parfois des frères Dardenne, de Bertrand Tavernier, Xavier Legrand (qui a été primé à Clermont-Ferrand, je crois), Abbas Kiarostami, Ermano Olmi, Valeska Grisebach, Jonas Carpignano, Joao Salaviza ou Gabriela Pitcher, pour ne citer qu’eux.
Pour voir 16 de Decembro (16 décembre), rendez-vous aux séances du programme I6 de la compétition internationale.