Goûter avec Je serai parmi les amandiers
Interview de Marie Le Floc’h, réalisateur de Je serai parmi les amandiers
D’où vous est venue l’idée de cette histoire ? Aviez-vous rencontré des Syriens dans la même situation ?
La question de l’exil dans la famille est quelque chose qui me fait écho de façon forte, et que j’avais exploré dans un précédent court-métrage. C’est quelque chose qui revient, sans que je ne puisse très bien l’expliquer. Pour ce projet, cela a commencé par le désir de filmer un lieu. Après l’école, j’avais envie de renouer avec mes origines, et c’est comme ça que j’ai débarqué au port de Keroman, à Lorient. C’est un espace qui, en plus d’être très cinématographique, raconte énormément sur la société dans laquelle on vit. Durant la même année, j’ai fait plusieurs petits boulots alimentaires, dont un dans un CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) à Marseille. Bien sûr ce n’était pas un hasard si je me suis retrouvée là, cela avait du sens par rapport à ce qui me préoccupait. J’y ai rencontré une femme syrienne qui souhaitait se séparer de son mari, mais à qui l’on avait conseillé d’attendre l’obtention du statut de réfugié en tant que famille avant de lancer la procédure du divorce. Son histoire était très différente de celle de Maysan dans le film, mais cette ambivalence entre l’attente d’une réponse administrative et le démantèlement d’une famille a été quelque chose qui m’a profondément marqué. Quand l’urgence retombe, « l’ordinaire » reprend ses droits, et c’est cet après qui m’intéressait. Dans l’histoire des trois personnages, c’est à travers l’aboutissement d’un exil qui pourrait les lier par un destin commun que se révèle l’éclatement du noyau familial. Cela prenait aussi sens parce qu’on était dans un contexte où la globalisation des migrants, que ce soit de façon négative ou au contraire compatissante, était très présente. Comme si on ne parlait pas de nous, mais « d’autres » personnes, d’un groupe à part et bien distinct. Et du coup, à travers l’histoire de cette femme, deux questions que j’avais envie de défendre se rencontraient de façon évidente. Qu’est-ce qui nous tient ensemble dans cette société où la permanence des relations semble de plus en plus fragile ? Et comment peut-on, à travers des histoires particulières, familiales et intimes, briser cette perception de la différence? Des personnages ont pris vie, et leur histoire s’est implantée dans le port de Keroman, qui pouvait incarner beaucoup de choses en lien avec ce que raconte le film.
Quelles recherches avez-vous effectuées ?
Je crois que ce sont toutes les recherches en amont qui ont fait naître l’histoire. J’avais travaillé pendant deux mois dans une usine à poisson, comme Maysan dans le film, et beaucoup d’éléments narratifs sont venus de là. Il y avait déjà eu des rencontres marquantes, que ce soient des familles, syriennes ou non, et évidemment la rencontre de cette femme. Et puis tout cela a rencontré la vie, et ce qui nous tord parfois le ventre malgré nous, ce qui nous habite. C’est avec tout ça que l’histoire s’est imposée, pas avant. Ensuite, pendant l’écriture, j’ai continué à faire des rencontres bien sûr, et j’ai surtout fait des recherches au niveau administratif concernant le rôle d’un accompagnateur dans le cadre de l’obtention du statut et sur les conséquences, dans certains cas, d’un divorce dans ce processus. Ensuite il y a eu les « castings », qui m’ont beaucoup appris, et les discussions avec Masa Zaher et Jalal Altawil, qui ont incarné les personnages.
Comment s’est déroulé le casting ?
Au tout début, je ne pensais pas travailler avec des acteurs. En écrivant, je pensais déjà forcément à mes anciennes collègues de travail de l’usine à poisson, et elles se sont révélées incroyablement justes. Pour la famille, cela a été plus compliqué au tout début : j’ai fait un casting non-professionnel où j’ai rencontré beaucoup de personnes, mais je ne parvenais pas à trouver d’évidence. Et puis un jour, on m’a envoyé une liste avec plusieurs contacts d’acteurs syriens qui avaient fui le régime d’Assad, dont Masa Zaher et Jalal Altawil. Cela a été une rencontre décisive. Non seulement ils avaient en eux une puissance d’expression que je trouvais très belle, mais leurs parcours personnels faisaient écho à l’histoire. Ils ont énormément apporté au film.
Ce court se prête à une suite ! Avez-vous un projet de long en tête ?
Il y a effectivement un projet de long qui a un lien avec ce court, mais il en est encore à ses tout débuts.
Quels sont vos futurs projets cinématographiques ?
Il y a donc l’écriture d’un long, qui en est vraiment à ses premiers balbutiements, et j’ai en tête deux documentaires que j’aimerais pouvoir faire. Je sens que la démarche documentaire peut énormément nourrir un processus de cinéma, et j’aimerais l’explorer de façon plus radicale.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Je crois que le court métrage est une formidable occasion de trouver son chemin avec plus de liberté, de sentir peu à peu sa voie, d’apprendre, d’avoir le droit à l’erreur, et d’expérimenter des choses. C’est une forme très forte, où l’on doit parvenir à trouver comment un fragment peut faire écho au reste. Après, j’ose encore espérer que la liberté n’est pas complètement liée à la forme ou la durée, mais aussi à notre persévérance, nos choix, et à l’accompagnement de producteurs sensibles et investis et de toute une équipe. Bien sûr, il y a toujours des contraintes à prendre en compte, et elles sont certainement encore plus grandes avec un long métrage, mais je crois que quel que soit le format, il y a toujours moyen d’en faire une force.
Pour voir Je serai parmi les amandiers, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.