Lunch avec Bonde (La bande)
Entretien avec Asaph Luccas, réalisateur de Bonde (La bande)
Bonde raconte l’histoire de trois jeunes amies noires qui partent chercher refuge en centre-ville, auprès de la scène nocturne LGBT+. Comment avez-vous créé ces trois personnages ?
Bonde a été écrit par 8 personnes. Nous sommes tous des membres de la communauté LGBTQIA+, nous habitons principalement dans la périphérie de São Paulo et 6 d’entre nous sont noirs. Nous travaillons ensemble et sommes également des amis très proches. Il est donc certain que c’est un film qui nous ressemble. Tout ce qui se passe dans le film nous est familier : nous avons vécu certaines de ces situations ou elles se sont produites dans notre entourage. Créer ces trois personnages a permis à notre groupe de queers de revivre ces expériences. Nous avons aussi laissé les membres de l’équipe participer à cette création, car ils avaient beaucoup de points communs avec nos héroïnes. Les acteurs, Alice Marcone, Eric Oliveira et Joyce Brito y ont grandement contribué !
Quels types d’obstacles (physiques, financiers ou autres) avez-vous dû surmonter ?
Nous sommes plusieurs à n’avoir jamais pensé faire des films un jour : nous avons tous grandi en regardant le cinéma brésilien (blanc, hétéro, cisgenre et riche). Une richesse issue de vieilles fortunes. Nous ne fréquentons pas les écoles de cinéma. Nous ne participons pas aux castings et n’appartenons en rien à l’industrie du cinéma. Nous avons dû lutter pour tracer notre chemin, et nous devons encore le faire. Nous avons étudié à l’Instituto Criar, une ONG tournée vers le cinéma et nous avons réalisé Bonde (notre troisième court métrage) grâce à une politique de discrimination positive. Pour nous, réaliser des films est une déclaration politique, un investissement pour espérer changer ce secteur. Et il ne faut pas oublier que notre gouvernement a organisé un boycott de tout ce qui était en lien avec la communauté LGBTQIA+. On ne peut pas dire que les choses se simplifient pour nous…
Pensez-vous que le circuit du court métrage soit plus accueillant vis-à-vis des minorités en général ?
Je dirai que c’est le seul circuit dans lequel nous pouvons être représentés. C’est le circuit qui permet de voir des réalisateurs marginalisés créer et obtenir de la reconnaissance. Je dis « marginalisés » parce qu’en tant que queers nous sommes une minorité, mais en tant que noirs nous représentons 54 % de la population brésilienne. Nous sommes donc la majorité, mais on n’apparaît pas à la télévision. Pour ce qui est du circuit du court métrage, il est certain que 54 % des films ne sont pas réalisés par des personnes comme nous. Il reste encore beaucoup de chemin à faire…
Pouvez-vous nous parler un peu de la réalisation d’un film par un collectif ?
Pour nous, il s’agit d’un processus de réalisation très spécial. Cela donne l’occasion de penser en tant que groupe et de disséquer la manière dont 8 personnes différentes peuvent voir les choses. Bénéficier de tous ces points de vue est très utile pour écrire sur les personnes marginalisées. Il n’est pas question d’ego ! Notre objectif principal est de faire changer les choses, tous ensemble. Mais il ne faut pas idéaliser ce processus : avoir 8 créateurs différents n’a rien de simple. São Paulo est une ville gigantesque : la plupart des habitants pauvres résident dans sa périphérie et passent 4 heures par jour dans les transports en commun pour se rendre au travail. Nous avons écrit Bonde dans le centre-ville, après nos journées de travail respectives. Je vous laisse imaginer ce que nous avons vécu ! À chaque étape, nous avons eu des difficultés pour que ce projet puisse s’accorder avec les emplois du temps de chacun.
Y a-t-il des libertés que le court métrage vous a apportées ?
Oui. Il n’y a aucun long métrage brésilien projeté dans les cinémas qui soit comme le nôtre, pas même de loin. Actuellement, Bonde ne pouvait être qu’un court métrage, non seulement à cause de sa thématique, mais aussi en raison de la direction créative que nous avons prise. Pour Bonde, nous voulions explorer l’imagerie d’Internet et la culture des memes de manière expérimentale, mais toujours avec un petit plus, comme nous l’avons fait avec la musique funk de .enzo pour la bande originale.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
Comme nous ne sommes pas représentés dans la plupart des films, nos références ont dû s’étendre à d’autres domaines. La culture Internet a de loin été notre plus grande source d’inspiration. Vous devriez aller voir Leona, Assassina Vingativa et Bonde das Maravilhas sur YouTube : la première est une novela sur le Web, de la seule et unique Leona, une icône queer brésilienne. L’autre est un groupe de funk féminin auquel nous faisons une référence directe dans la scène post-générique.
Pour voir Bonde (La bande), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I2.