Lunch avec Une fille moderne
Entretien avec Noé Debré, réalisateur de Une fille moderne
Comment avez-vous eu l’inspiration pour Une fille moderne ?
Le film est inspiré d’un texte écrit par Raphaël Hayoun, un ami qui, comme le protagoniste du film, étudie en yéshiva en Israël. Raphaël y raconte son expérience des rencontres arrangées, les shiddouh, censées permettre à des jeunes gens de se rencontrer dans les communautés juives religieuses, afin de fonder un foyer. C’est un texte très drôle et assez acerbe. J’avais par ailleurs depuis longtemps cette idée de situation lors d’un enterrement de vie de garçon.
Pourquoi étiez-vous intéressé par un personnage qui ait fait le choix de s’inscrire dans un rapport aux autres conditionné par des prescriptions religieuses ? Pouvez-vous préciser l’école dans laquelle il étudie ? Y a-t-il une différence entre école talmudique et rabbinique ?
Nathan appartient à un milieu dans lequel le corps de la femme fait l’objet d’une réclusion complète en-dehors de l’intimité du mariage. Il ne peut pas poser les yeux sur ce corps, encore moins le toucher. C’est un tabou fondamental. Contrairement à la plupart des hommes qui nous sont donnés à voir au cinéma et à la télévision, Nathan lutte pour rester à l’écart de la jouissance sexuelle. Cette volonté d’accorder ses gestes au dogme me semble une aspiration majeure de notre époque, qui trouve finalement assez rarement sa représentation au cinéma ou alors avec la distance du fondamentalisme.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question des rapports masculin-féminin ? Est-ce une thématique que vous souhaiteriez développer à nouveau dans de prochains projets ?
Jenny fait son apparition sous les traits d’une poupée Barbie. Elle incarne par son maquillage, ses vêtements et sa plastique le fantasme pornographique de la femme. Le fait qu’elle ne puisse pas communiquer avec les garçons, n’ayant aucune langue commune avec eux, la réduit d’autant plus à sa fonction purement érotique, exactement à la manière d’une publicité pour sous-vêtements ou d’un portrait instagram. Lorsque le récit emprunte une voie inattendue, Jenny va se défaire progressivement de son vernis de magazine. Elle prend le pouvoir sur la scène, passant de la position d’objet à celle de sujet. Et finit par apparaître telle qu’elle est en réalité, défaite de ses artefacts, dans son plus simple appareil émotionnel. Elle se met alors à nu pour de vrai.
En quoi le rapport à la mort vous intéressait-il ?
Ce qui m’a intéressé, c’est de voir comment la maladie et son diagnostic pouvaient brutalement renverser les rapports entre les personnages. Comment les adolescents doivent soudain devenir des adultes et comment la femme-objet devient sujet. La présence de la mort, l’irruption du tragique, est aussi un véhicule qui oblige Nathan à questionner son dogme pour faire preuve de compassion.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Principalement au niveau du casting. Le court-métrage est préservé des contraintes du marché, ce qui a pour vertu de le libérer des questions de notoriété, etc. Cela m’a permis de faire mes choix d’acteurs sur des critères purement esthétiques. C’est un grand luxe.
Quelles sont vos oeuvres de référence ?
J’ai beaucoup étudié le découpage chez Kore-Eda, la façon dont le réalisateur parvient à se rendre invisible sans jamais renoncer à la mise-en-scène. Il s’efface pour nous laisser voir les acteurs, tout en faisant vraiment usage du langage cinématographique. Sur le ton, j’ai beaucoup pensé à Toni Erdman de Maren Ade, dans la façon dont comédie et drame se servent mutuellement au lieu de s’annuler.
Pour voir Une fille moderne, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.