Goûter avec Stray Dogs Come Out at Night (Les chiens errants sortent la nuit)
Entretien avec Hamza Bangash, réalisateur de Stray Dogs Come Out at Night (Les chiens errants sortent la nuit)
Pouvez-vous nous expliquer le film ? Que symbolise le chien ?
À la tombée de la nuit, les chiens errants investissent les rues de Karachi. Ils surgissent de toutes parts, s’installent en plein milieu de la rue, ils sont contents, insouciants. Il n’est pas dans notre culture de protéger les animaux. Beaucoup de gens pensent que le chien est contraire à l’Islam (mais c’est propre à notre culture, ce n’est pas le cas dans les autres cultures islamiques, où l’on s’occupe bien des animaux). Par conséquent, ces dernières années, les autorités ont mené une campagne d’extermination. On pulvérise du poison dans les rues, ce qui fait que si un chien (que ce soit un chien errant ou un animal de compagnie) mange de la nourriture qui traîne, il meurt. Le matin, on ramasse les cadavres. Aux côtés des chiens, les seuls êtres qui peuplent la nuit sont les Maalishwala’s (jeunes masseurs de rue, prostitués). Ils s’installent dans la rue et attirent les clients en faisant tinter leurs bouteilles d’huile de massage. Le titre du film provient de mes observations. Comme les chiens, les jeunes hommes sont rejetés par la société – et comme les chiens, ils sont maltraités au quotidien. Les chiens errants ne vivent que la nuit.
Connaissez-vous quelqu’un qui soit dans la même situation que Hamza ? Avez-vous fait des recherches ?
La situation que je connais personnellement, c’est celle des migrants à Karachi. C’est une ville qui peut être violente, implacable, et qui s’étend à l’infini. Comme pour un documentaire, l’histoire est issue en grande partie de mes recherches. J’ai collaboré avec une association caritative qui s’occupe de santé masculine, gérée exclusivement par d’anciens prostitués. Je les ai interviewés, je les ai suivis en mission. Tout cela est très tabou car ces pratiques sexuelles sont expressément interdites au Pakistan, on les considère comme ce qui peut exister de pire. Mais pour ces hommes, c’est juste un travail, une façon de gagner sa vie. J’ai trouvé intéressante leur approche de la foi dans cette profession, car beaucoup sont très pratiquants. C’était vraiment juste cela : un moyen de gagner de l’argent dans un pays pauvre. Un moyen de subvenir aux besoins de leurs familles restées à la campagne. Le prix à payer, la contamination, la maladie, le traumatisme psychologique, tout cela est enfoui.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le lieu du tournage ? Connaissez-vous bien cette partie du Pakistan.
Oui, très bien. Je suis né à Karachi, et la plage où nous avons tourné se trouve à cinq minutes de la maison de ma famille, ainsi que l’appartement du film. J’avais déjà réalisé un documentaire sur le marché de la plage, et j’avais envie de revenir tourner sur ces lieux. À quelques encâblures du marché se trouve le plus grand centre commercial moderne de la ville, mais c’est un autre univers. Une étrange incarnation du clivage social. Dans plusieurs plans du film Les chiens errants sortent la nuit, on aperçoit le centre commercial en arrière-plan. Pour les habitants de Karachi, c’est une structure symbolique. C’est à la fois drôle et étrange.
Quelle réaction attendez-vous du public ?
Qu’il ressente de l’empathie. Je pense que l’expérience humaine est partout la même. Les moments d’incertitude, de doute, de solitude, de désespoir sont universels. J’espère qu’en regardant Les chiens errants sortent la nuit, en partageant la vie d’une communauté marginalisée, les spectateurs se sentiront concernés et réaliseront que ces personnages de sont pas si éloignés d’eux.
Quel est votre parcours de réalisateur ?
J’ai commencé dans le théâtre à Karachi, j’écrivais et je mettais en scène des spectacles amateurs. J’ai fait des études de théâtre au Canada, puis je suis rentré à Karachi. Après avoir continué le théâtre quelques années, je me suis tourné vers le cinéma. L’année dernière, mes films ont commencé à voyager à l’étranger, ce qui m’a donné l’occasion de participer à des programmes de formation comme l’Asian Film Academy du festival international de cinéma de Busan, la Filmmakers Academy de Locarno, ainsi que leur programme Open Doors. Un apprentissage formidable, dont ma pratique a énormément bénéficié. Ce mois-ci, je vais me rendre à la Berlinale dans le cadre de leur foire aux talents, qui a sélectionné mon projet de long métrage, Mariam (tiré de mon court métrage de 2018, Dia). J’espère trouver des financements pour mon film, car il n’y a pas de subventions pour le cinéma indépendant au Pakistan – ni aucun autre type de projet cinématographique. Pour faire du cinéma au Pakistan, il faut être prêt à tout, et avoir une sacrée dose de passion.
Y a-t-il des œuvres d’art ou des films qui vous ont inspiré ?
Tous les films d’Almodovar et d’Asghar Farhadi. La nouvelle vague africaine et indienne. Les courts métrages que j’ai pu voir à Locarno 2018 et 2019. Récemment, j’ai découvert Haneke. Mon bagage cinématographique est faible, mais aujourd’hui, grâce au streaming, j’ai l’occasion de voir plein de films. Les pièces d’Arthur Miller et d’Oscar Wilde. Karachi – la ville en elle-même est une œuvre d’art.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage m’a permis de faire plus avec moins de moyens. De raconter des histoires qui ne seraient pas racontées sans lui, car trop risquées ou pas assez rentables. Le court métrage est plus pur, il n’a pas grand-chose de commercial. En cela, il donne une certaine liberté. Je suis libre de toute obligation financière, je peux donc raconter les histoires qui, à mon avis, doivent être racontées.
Pour voir Stray Dogs Come Out at Night (Les chiens errants sortent la nuit), rendez-vous aux séances du programme I9 de la compétition internationale.