20 ans de labo
“Nul besoin d’être un scientifique pour faire des expériences » avance dès 2003 Jeffrey Lewis – avant d’en revenir, comme presque toujours, aux affaires du cœur. Tant nos milléniales décennies imposent au final l’abolition des frontières entre les genres et les disciplines, en point d’orgue aux avant-gardes artistiques des 19e et 20e siècles. Avec le court métrage en terreau fertile de toute véritable envolée cinématographique, le festival de Clermont-Ferrand ouvre tout naturellement un espace à ces nouvelles aventures créatives. Depuis 20 ans, cette fenêtre de vivacité et de curiosité porte un nom, tout désigné par sa nature même, le labo. Une compétition radar, aiguillon de recherches faisant fi des genres donc, mais aussi des chapelles ou des nationalités.
Le réel au cordeau d’une table de dissection, au plus près de nous et de par le vaste monde… Transcontinental Edison. D’édition en édition, un sillon se creuse avec intensité, se régénère, se ré-électrise sous l’impulsion d’électrons libres qui, riches d’un héritage, le transcendent et le réinventent en repoussant toute idée de limite ou d’impossible tels Pang-Chuan Huang ou Ismaël Joffroy Chandoutis, tous les deux doublement primés en 2018 et 2019.
S’il est bien sûr impossible de citer ici tous les trésors filmiques, tous les talents confirmés ou découverts par le labo, l’éclectisme de celles et ceux qui acceptent, en amitié, de venir confronter leur vision et leur inspiration à cet élan, prêts à en être bousculés dans le rôle de jurés, en dévoile l’identité. Les réalisateurs hors-cadre Claire Denis, Kleber Mendonça Filho ou Wang Bing, les magiciens de l’image en mouvement Bill Morrison, Ange Leccia ou Jenn Nkiru, l’autrice de BD rock Nine Antico, le chef étoilé Michel Bras, les photographes Christophe Agou, Richard Dumas et Julien Mignot, ou encore les musiciens Kurt Wagner, Fredo Viola, Stuart Staples…
Une liste foisonnante comme le labo reste pluriel, insaisissable et pourtant unique. Ce casting d’engagement et d’excellence en précise alors soudain les contours : un terrain d’art et d’essais, une instantanéité portée à la quête alchimique, de l’image et du son, de l’animation débridée à la déchirure documentaire, d’un maëlstrom à un précipité instable toujours vers une révélation du monde, de son réenchantement comme de sa détresse, une prise de pouls en pleine conscience… Se saisir de la vérité, parfois par le plus scintillant des mensonges. Ainsi, « nul besoin d’être un scientifique pour faire des expériences… sur son propre cœur.“
Xavier Fayet