Breakfast avec Princesses
Entretien avec Margaux Elouagari, réalisatrice de Princesses
Pourriez-vous nous expliquer le choix du titre ?
Ce qui m’intéresse le plus dans ce titre c’est son côté paradoxal. Dans leurs têtes Lindsay et Leslie sont sûrement des princesses ou veulent le devenir, mais en réalité elles ne le sont pour personne, ni leur famille ni les garçons qu’elles côtoient, amis ou potentiel amoureux. Personne ne les met sur un piédestal ou ne les respecte. Elles doivent se battre pour ça. C’est pour ça que j’ai choisi cette police aussi, on n’est pas dans un Disney, c’est pas ça la vie. Et la vie d’une adolescente peut se trouver bien loin du conte de fée. Elles sont des princesses parce qu’elles veulent en être, tant pis pour le reste.
Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter les mésaventures de ces jeunes filles ?
J’avais envie de montrer une certaine force de la jeunesse, poussée par leurs amitiés et leurs solidarités. La vie c’est souvent être amené à dépasser des épreuves, pour elles ça peut être plus compliqué parce qu’elles n’ont pas une famille présente et bienveillante, qu’elles sont issues d’un milieu social pas hyper privilégié etc. En fait je crois que j’ai eu envie de raconter leurs mésaventures aussi parce que c’est violent ce qu’elles vivent mais que c’est notre monde et c’est quotidien. Mettre en image c’est une manière de poser ça là, pour ne pas oublier ou pour informer.
Est-ce un « monde » qui vous est familier ? Quelles recherches avez-vous faites ?
Il n’y a pas eu de recherches, c’est une histoire que j’ai vécue et on a tourné dans les mêmes villes, même lieu, même tramway… Donc oui assez familier. Bien sûr c’est romancé, c’est adouci, la réalité est plus violente. Les questions se sont plus posées sur le style vestimentaire, la musique et le langage. Comment transposer une histoire chez une nouvelle génération.
Les échanges étaient-ils tous écrits par avance ou y a t-il de l’improvisation ?
Tout était écrit, mais ils avaient droit à l’impro pendant le tournage. C’était pas toujours facile pour les comédiens d’improviser donc on a inventé un jeu : parfois, sur certaine séquence je disais à un comédien de dire telle phrase ou faire telle action en plus et les autres n’étaient pas au courant, ce qui les obligeaient à improviser. Par exemple dans la scène où elles traversent le champ pour rejoindre la ville, Leslie avait vraiment envie de faire pipi alors ça nous a donné cette idée de lui faire improviser ça, mais on lui a dit : « surtout tu dis rien à Lindsay, c’est un secret, tu vas la surprendre. »
Comment s’est déroulé le casting ?
J’ai fait deux appels à casting, où j’ai rencontré plusieurs dizaines d’adolescents qui sont venus de leur propre chef et qui n’avaient jamais passé de casting , ni fait de cinéma pour la plupart. C’est à ce moment que j’ai rencontré Lorina (Lindsay). Ensuite j’ai rencontré des potes de l’entourage des comédiens que j’avais choisi. Pour les personnages d’Antho et Julien, je suis passée par une connaissance qui avait des potes issus d’un lycée privé et catholique de Valenciennes. Je suis aussi allée rencontrer des jeunes comédiens dans un atelier de théâtre près de Valenciennes, c’est comme ça que j’ai rencontré Thibaut (Alex). D’ailleurs Alex c’est un cas particulier parce qu’à la base son personnage n’était pas vraiment celui qu’on voit dans le film, c’était un garçon timide, pas très sûr de lui, tout stone et quand j’ai rencontré Thibaut, j’ai eu envie de le faire jouer mais pas pour lui donner ce rôle mais pour qu’il soit lui-même, c’est à dire un garçon très drôle, qui prend de la place, un boutentrain. On en a parlé et on a trouvé le nouvel Alex et ça c’est un beau cadeau de casting.
Ceci n’est pas votre premier film en compétition à Clermont. Racontez-nous un moment fort du festival.
Mon souvenir le plus marquant c’est quand je suis sortie de la projection où passait mon premier court métrage La Ducasse. Dans le grand hall de la salle Cocteau il y avait beaucoup de monde et c’était difficile de circuler, moi j’avais le temps, j’étais dans mes pensées donc je laissais passer les gens. Et là, est sorti cet homme qui m’a aboyé que si j’étais comme ça dans ma vie, si je me laissais marcher dessus, j’allais me faire détruire et que je n’arriverais jamais à rien. Bien sûr il ignorait que je sortais de la séance où était passé mon film, que c’était une grande première pour moi de le voir devant des centaines de personnes que j’avais entendu réagir et dont il faisait sûrement parti. Aucun donneur de leçon ne pouvait m’atteindre à ce moment et c’est assez rare que je ne réagisse pas à ce genre de personne.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je suis optimiste sur cette question, je rencontre pas mal de gens de pleins d’horizons différents qui regardent des courts métrages et qui adorent ce format. Je suis très étonnée parfois de savoir que des gens ont vu La Ducasse ou d’autres courts que j’adore. J’avais tendance à croire que mon film ne vivrait pas trop ou plus après les festivals et c’est faux. J’aimerais que les courts puissent retrouver une place au cinéma, en avant séance ou dans des programmes dédiés.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous ?
Je vous conseille d’écouter les récits du Décameron mis en voix par des comédiens de toute part et diffusés sur le soundcloud de Lundimatin. La série de podcast d’Arte sur les braqueurs c’est une tuerie également. De manière générale je trouve que les podcasts font grave du bien pendant le confinement, d’entendre d’autres voix et d’appréhender des histoires sans la vue.
Pour voir Princesses, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.