Breakfast avec Sainte Baume
Entretien avec Laetitia Spigarelli, réalisatrice de Sainte Baume
Comment avez-vous eu l’inspiration pour Sainte Baume ?
Mon désir premier était de faire un film qui parle de la famille, c ‘est à dire de ce mélange d‘absolue familiarité et à la fois d‘étrangeté totale qui sous tend les réunions familiales, le dialogue de sourds et la solitude paradoxale. L’actrice principale Pauline Lorillard m ‘avait raconté que son grand-père avait décidé de mourir chez lui, et que toute la famille s ‘était réunie dans sa maison à la campagne. Je trouvais que la mort est un moment où tous les rôles et les places familiales de chacun sont encore plus exacerbées. Un moment à la fois tragique et parfois burlesque car on ne sait pas quoi faire de la mort aujourd’hui. J’avais par ailleurs rencontré ces femmes espagnoles que l ‘ont voit à la fin, et cela m ‘avait fait sentir comme un rapport avec le groupe et la communauté peut être vécu de manière totalement différente. Sainte-Baume, cette montagne qui abrite la grotte de Marie-Madeleine m‘a paru le lieu possible de cette rencontre entre ces différents aspects de la vie. Et le vertige est venu comme le lien entre ces différents espaces.
A quel point êtes-vous intéressée par la thématique de l’accompagnement à la fin de vie et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur cette question ?
Je crois que nous avons un vrai problème de société dans notre rapport à la mort. J’avais lu un livre de Jenkinson qui a travaillé des années en soins palliatifs. Le livre s appelle « Die Wise », mourir sagement. Il parlait du fait qu’on ne veut pas voir la mort en face : à la fois, on repousse le fait de mourir jusqu’au bout dans un certain acharnement thérapeutique et, à la fois le moment de la mort doit ensuite être très vite évacué, pas comme un moment en soi, mais un moment dont on veut se débarrasser au plus vite. Comme si la mort, il appelle ça « Dying », le fait d’être en train de mourir ne faisait pas partie de la vie. Je trouve ça très interessant, et à la base de beaucoup de douleur et d ‘incompréhension dans notre société, peut être aussi que cela nous coupe de nos racines d’êtres vivants. Et je voulais aborder ce thème. Je ne sais pas à quel point cela sera présent dans mes films à venir, mais c‘est quelque chose qui me travaille.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport aux vertiges ?
Je trouve que le vertige est un moment très fou parce que quand on est pris d ‘une crise comme ça , toutes les barrières sautent. On passe notre temps à tenter de masquer nos peurs et vulnérabilités aux regards des autres et là tout à coup on le montre, et ce qui est drôle dans le film c ‘est que le personnage principal le montre à de parfaits inconnus. La peur est si manifeste qu‘elle peut devenir agressive, ou bien autoritaire, ou tout simplement s’en remettre totalement à quelqu’un quelle ne connaissait pas deux minutes avant. Je trouve aussi que le vertige est une métaphore de notre rapport à notre pulsion de mort, c’est l ‘attraction pour le vide, pour ce qui n‘a pas de limite. Alors que vivre oui, dans une certaine mesure, c’est être limité !
Comment avez-vous travaillé avec les comédiennes ?
Il y a je crois 35 comédiens dans le film donc avec chacun il y a une histoire particulière ! Ça me passionne de voir, avec chacun d‘ailleurs, comment cela se construit différemment. Il y a des comédiennes et comédiens professionnels, d’autres qui jouaient pour la première fois… Le gros travail d’abord a été le travail de casting fait avec Isabelle Ungaro. Trouver les personnes justes pour qu‘on puisse croire à cette famille, que les rapports soient évidents. L‘idée est de trouver une façon de jouer qui ne soit pas démonstrative des relations, ce qui arrive souvent dans les films de famille. On montre qu’on est la sœur ou le père ou le petit-ami… Nous avons donc fait des rencontres en amont, entre les membres de la famille, et des improvisations pour ensuite finalement suivre assez fidèlement le texte dans les scènes écrites au tournage, mais les rapports existaient déjà grâce aux improvisations en amont. Je connais très bien l‘actrice principale Pauline Lorillard, qui est une grande amie. Il y a donc une compréhension entre nous plus aiguë de ce dont parle le film. Nous avons la même façon d ‘envisager le jeu et cela a été un grand soutien. La compréhension et l ‘amitié sont de très bonnes bases de travail !
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Je pense dernièrement à Palma d’Alexe Poukine que j‘ai trouvé très réussi, très précis sur le rapport mère/fille. J’aime les courts métrages qui, en très peu de temps, tissent une profondeur de relation, qui sortent des clichés. Je pense aussi à Abada de Jean Benoît Ugeux sur une relation père/fils, ou bien La maison (pas très loin du Donegal) avec Claude Le Pape qui se passe après la mort du père, quand on vide la maison. Je suis très sensible à la finesse du jeu des comédiens. J‘aime les courts métrages qui suggèrent et font exister leurs personnages par le côté, car parfois les scénarios de courts métrages souffrent un peu d’un côté démonstratif justement car le temps imparti est plus court.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je crois que ce qui va être un bon film pour moi, ne le sera pas forcément pour quelqu’un d’autre…
Mais, parfois, je peux dire : « ça c ‘est du cinéma » dans le sens où il y a quelque chose qui va creuser plus profond , et qui est de l’ordre de la métamorphose en moi. Je n’oublierai plus jamais la sensation que j ‘ai eu en voyant le film et ce qu’il a modifié en moi. J’aime cette phrase de Flaubert qui dit : « Pour ne pas voir les choses en noir il faut les regarder en face ». Je crois que c ‘est ça un bon film. Le réalisateur a regardé quelque chose en face, il me met moi-même en face de quelque chose, même si, comme je l‘ai dit précédemment, dans la manière de le faire, cela peut être subtile et de côté… Peut être un bon film est un film paradoxal comme la vie !