Panorama 2024 : focus géographique
Eur♀Visions – Les femmes européennes à la caméra
Le public clermontois a pour habitude, chaque année, d’embarquer dans un voyage vers un pays à travers notre rétrospective géographique. Il y (re)découvre une culture, un ton, des histoires du bout du monde à travers des courts métrages inédits ou des coups de cœur passés. Mais on le sait : depuis quelques années maintenant, et l’annonce de la candidature de notre ville, Clermont-Ferrand s’est mise à l’heure européenne. Et même si nous n’avons pas décroché le titre, le festival a décidé de continuer sur cette belle lancée, et ce n’est pas un pays mais un continent entier que nous pourrons parcourir dans ce focus 2024. Et puisque notre rétrospective thématique sera cette année consacrée aux figures féminines fortes, nous nous sommes dit que l’Europe au féminin, ça sonnait bien. Cette sélection de courts métrages, produits entre 2013 et 2023, est un hommage à la diversité du regard féminin sur le monde et à la pluralité du cinéma européen. Chaque film offre une perspective unique, éclairant les aspects de la vie, de la société et de l’humanité, par le prisme des talents féminins.
« P*tain, p*tain, C’est vachement bien, Nous sommes quand même, Tous des Européens » – Arno
22 films, 24 réalisatrices, 25 pays. Les plus attentif·ve·s remarqueront que le Royaume-Uni et la Suisse sont venus s’ajouter aux 20 pays membres de l’Union européenne présents dans ce focus. Ce n’est pas une Europe politique ou une Europe géographique que nous avons choisi de mettre à l’honneur cette année, mais une Europe culturelle. Une Europe plurielle, kaléidoscopique, ouverte sur le monde et profondément ancrée dans son temps. Elle ouvre ses frontières, elle parle d’elle et du reste du monde qui l’entoure, la nourrit et l’enrichit depuis des siècles. Défenseuse enragée de la cause féministe et de ses racines africaines, la réalisatrice Jenn Nkiru, Britannique d’origine nigérienne, jurée labo en 2019, propose avec son Rebirth Is Necessary (prix CANAL+ labo 2018) [1] une expérience sonore et visuelle de haut vol au son du hip-hop et du jazz pour rythmer son exploration de l’afrofuturisme. Plus que jamais : « Black is beautiful ». Le cinéma européen a toujours été le témoin d’un monde qui change, qui bouge, et qui parfois devient monstrueux et grotesque. Ces questions sont au cœur du cinéma de Corina Schwingruber Ilić, réalisatrice suisse. Impressionnante carrière pour ce brûlot anticapitaliste (plusieurs dizaines de prix reçus pour près de 300 sélections en festivals après Clermont 2019), All Inclusive [2] torpille les travers consuméristes de la société actuelle avec un regard plein d’humour, sans le moindre dialogue, et en laissant, sans juger, toute latitude aux spectatrices et spectateurs de se forger leurs propres opinions.
Réka Bucsi nous émerveille avec Symphony no. 42 [3], son film de fin d’études nominé aux Oscars. Avec cette composition virtuose, très musicale, toute en couleurs et en rythme, la réalisatrice hongroise explore les relations entre les humains et la nature, oscillant entre l’absurde et la prise de conscience, toujours avec un humour désarçonnant très personnel. Mais c’est aussi dans son esthétique que le cinéma européen se transforme, expérimente, faisant dialoguer le fond et la forme. Dans Tracing Addai [4], Esther Niemeier dessine ce qu’elle ne peut pas ou ne veut pas montrer, dans une quête de réponses au départ d’un de ses amis d’enfance pour la Syrie. Elle reconstruit des images, des souvenirs, tente de donner forme et sens à ce qui n’en a pas. Dans Love, Dad (primé en 2022) [5], Diana Cam Van Nguyen use des mots et des images pour tenter de reconstruire une relation perdue avec son père. Les lettres se croisent, se complètent et paraissent ne jamais vraiment se trouver, illustrées par de multiples techniques d’animation (2D, découpe, rotoscopie). Un monde qui change et seulement des mots pour essayer de le raconter, c’est aussi ce que raconte Bella de Thelyia Petraki (déjà sélectionnée à Clermont avec Helga Is In Lund) [6]. À la veille de la chute du mur de Berlin, entre documentaire et fiction, une femme raconte la sensation de vertige juste avant le grand saut, le moment où tout va basculer, l’Histoire et l’intime.
« Si on me demande ce qu’est le female gaze, pour moi, c’est partager. » – Céline Sciamma
L’Europe, et des visions de femmes. Si le court métrage peut être considéré comme plus paritaire que son grand frère le long, il n’en est pas moins toujours plus difficile pour les cinéastes de se faire voir, entendre et comprendre par le public. Clermont leur offre cette année le devant de la scène, et donne à voir un cinéma de genres, au pluriel. Le genre cinématographique d’abord : dans Deer Boy [7], un jeune garçon naît avec des bois de cerf, et tente de trouver sa place dans une famille qui le rejette. Sans un mot, le film installe une atmosphère entre rêve et réalité, un univers fantastique et fantasmagorique. Dans Kaksi Ruumista Rannalla (Deux corps nus sur une plage) [8], la réalisatrice Anna Paavilainen convoque un imaginaire commun, des visions entre poésie et cauchemars de Lynch aux grands films de guerre et d’action. Dans Sorry, Not Sorry [9], la Suédoise Julia Thelin convoque les mythes nordiques pour faire changer la peur de camp et nous faire douter : qui est le chasseur, et qui est la proie ? Entre deux genres, celui du conte de fées trop parfait et de la comédie, il n’y a qu’un pas dans Son Altesse Protocole (prix de la presse Télérama 2022) [10]. Aurélie Reinhorn nous entraîne dans un tourbillon d’inattendu et de franche rigolade, suivant le premier jour loufoque d’une employée de parc d’attraction. Mais c’est surtout le genre humain qui se retrouve dans chacun des films de ce focus.
Une plongée dans l’intime et l’universel, des films tournés vers soi et vers les autres, d’une génération à l’autre. Lauréate par deux fois du grand prix de la compétition labo (en 2002 avec Mama et en 2004 avec Diary), la Lituanienne Oksana Buraja excelle à vous transpercer le cœur. Dans Liza, Namo! (Liza, à la maison!) [11], sans repère, elle nous met face à l’enfance d’une fillette qui a su créer son cocon protecteur pour mettre à distance l’âpreté du monde des adultes qui l’entoure. L’acuité de son regard est désarmante, tout autant que la beauté de ses images. Babičino Seksualno Življenje (La Vie sexuelle de mamie) [12], fiction animée d’Urška Djukić et Émilie Pigeard, explore la vie d’une grand-mère, entre rires et larmes. Le film joue de tendresse, illustrant les souvenirs et les petits secrets qui rendent chaque individu unique.
On parle aussi d’amour dans Ensom Cowgirl [13] de la Danoise Gina Kippenbroeck, celui qui vient de se terminer et qu’on ne veut pas laisser partir. Récemment séparée de sa petite amie, une jeune femme se remémore leurs souvenirs ensemble et s’isole du monde extérieur, restant seule avec sa peine. Mais parfois la solution vient de l’extérieur : dans le tout en tension Une sœur (inédit au festival, et que vous pourrez également retrouver en section Polar cette année) [14], une opératrice téléphonique reçoit un étrange appel qui va changer sa vie et celle de la femme au bout du fil.
Vous l’aurez compris, c’est une rétrospective inclusive, ouverte sur le monde et les autres, mouvante et émouvante, drôle et envoûtante, diverse et surprenante, que nous vous proposons de découvrir cette année, à travers les talents de 24 cinéastes, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Alors, qu’importe si Clermont n’a pas été couronnée capitale européenne de la Culture : elle est déjà la reine du court européen chaque année, au cœur de l’hiver. Et nous le fêterons comme il se doit en février 2024 avec vous !