Panorama 2025 : rétrospective thématique
Le Bruit qui court – Le son au cinéma
Le bruit court à Clermont : en 2025, le cinéma s’apprête à se faire entendre. Cette rétrospective vous invite à redécouvrir le cinéma à travers le prisme du son, un univers où chaque bruissement devient un acteur clé de l’histoire.
Le cinéma, bien qu’il soit né muet, a toujours été habité par une vie sonore. Dès ses débuts, des pionniers comme Léon Gaumont cherchaient à synchroniser les images avec le son. Dolby Atmos, DTS : X, Auro 3D… Aujourd’hui, même si le son ne représente qu’une petite part des coûts de production, il est devenu essentiel à l’expérience cinématographique. Comme l’a dit Alfred Hitchcock : « Le son fait 50 % de l’image. » Cette rétrospective rend hommage aux créateur·rice·s de ces univers auditifs, aux artistes qui capturent et transforment les bruits pour en faire un langage cinématographique.
À travers quatre programmes, nous vous invitons à découvrir un cinéma où chaque son raconte une histoire, où chaque vibration amplifie une émotion. Bruiteur·se·s, perch·wo·men, ingénieur·e·s du son et field recordists façonnent des ambiances qui enveloppent l’image, transformant le son en une véritable matière narrative.
Les coulisses du bruitage
L’univers du cinéma commence souvent dans les studios, là où le silence laisse place à la magie des bruiteurs. Dans The Secret World of Foley (Angleterre, 2014 – photo 1), nous plongeons dans les coulisses du bruitage, à la manière d’un magicien qui nous dévoilerait ses tours. Les bruiteur·se·s recréent les sons d’un film se déroulant dans un village de pêcheurs, où chaque pas dans les cailloux, chaque geste devient une musique en soi. Ce travail invisible, mais fondamental, est un art minutieux qui nourrit l’illusion du réel.
Le processus est encore plus fascinant dans Hacked Circuit (États-Unis, 2014 – photo 2), où un plan-séquence nous montre la re-création sonore de la scène finale de The Conversation de Coppola (États-Unis, 1974). Les bruits de cette rue californienne nous plongent dans un univers de surveillance et de contrôle, où la tension croît à chaque souffle sonore, faisant de nous les témoins d’une paranoïa omniprésente.
Quand le son éveille des émotions cachées
Le son a cette capacité de réveiller des émotions et des peurs enfouies. On the Origin of Fear (Indonésie, 2016, sélection labo Clermont-Fd 2017 – photo 3) en est un exemple saisissant. Dans ce huis clos oppressant, un doubleur, isolé dans un studio, prête sa voix à des personnages issus d’un passé violent. Tandis que le réalisateur reste invisible, les sons et les voix se chargent d’incarner la terreur, transformant l’espace du studio en un lieu hanté, où la peur prend forme.
Cette exploration de l’invisible résonne également dans La Peur, petit chasseur (France, 2004, grand prix national Clermont-Fd 2005 – photo 4) du regretté Laurent Achard. Ici, le son devient un personnage à part entière. Dans un plan fixe de neuf minutes, une maison semble calme, mais les bruits environnants racontent une toute autre histoire, créant une tension invisible, presque palpable. Le film montre la puissance du hors champ, ou comment le son peut évoquer l’invisible et faire monter une angoisse sourde.
Une autre façon d’entendre le monde
Le son peut aussi révéler des expériences intérieures, transformant notre rapport au monde et à nous-mêmes. C’est dans cette perspective que s’inscrivent deux films puissants : Notes on Blindness (Notes sur la cécité) (Angleterre, 2016, sélection labo 2014 – photo 5) et O Menino que Morava no Som (Le Garçon qui vivait dans le son) (Brésil, 2022 – photo 6).
Notes on Blindness suit le théologien John Hull, devenu aveugle, à travers un journal sonore qui capte son expérience de la cécité. Chaque bruit devient un repère sensoriel essentiel, remplaçant la vue et créant une immersion unique où l’absence d’image renforce l’intensité des sons. Le spectateur est invité à « voir » à travers les oreilles, à ressentir le monde invisible avec une profondeur inédite.
Dans O Menino que Morava no Som de Felipe Soares, nous suivons Timba, un jeune garçon sourd issu d’une banlieue brésilienne. Isolé par le manque de contact avec la Langue des Signes Brésilienne, Timba doit naviguer entre la frustration de ne pas pouvoir communiquer et ses désirs d’interaction. Sa situation est aggravée par une société qui n’accepte pas toujours la surdité, certaines familles préférant opter pour des implants cochléaires. Ce film dresse un portrait sensible des barrières sociales et intimes que rencontre Timba, tout en révélant la force et la complexité de l’univers sonore dans lequel il évolue. Entre les silences et les bruits amplifiés de son quotidien, nous découvrons un monde d’émotions non-dites, où la communication devient une lutte autant qu’un désir.
Un autre film, Di Shi San Ye (Treizième nuit) (Chine, 2023, sélection labo 2024 – photo 7) de Rachel Xiaowen Song, explore les effets perturbateurs d’un appel téléphonique mystérieux sur la vie de Xiaoxue, une jeune femme en deuil. Après avoir reçu un appel de son fiancé décédé, elle se retrouve confrontée à des forces surnaturelles qui bouleversent son existence. À travers un mélange de suspense psychologique et d’éléments surnaturels, le film nous plonge dans une exploration sensorielle intense, où le son et les bruits créent une atmosphère de malaise et d’incertitude, renforçant le sentiment de perte et de distorsion du réel.
Quand le son change notre perception du quotidien
Dans En Cordée (France, 2016, prix de la meilleure musique originale 2017 – photo 8), de Matthieu Vigneau, le son se détache des images, créant une discordance subtile. À travers un doublage décalé sur des images de randonnée, le film instaure une dissonance qui perturbe notre perception et crée une tension discrète mais percutante. Le quotidien, pourtant familier, devient étrange, nous rappelant que le son peut altérer la réalité.
Certains films vont encore plus loin, transformant le son en une véritable expérience sensorielle. Plot Point (Nœud de l’intrigue) (Belgique, 2007, prix spécial du jury labo 2008 – photo 9) de Nicolas Provost, par exemple, nous plonge dans les rues nocturnes de New York, où la vie est amplifiée par des sons désynchronisés et une musique oppressante. Times Square devient un espace à la fois fascinant et inquiétant, où le son déforme notre perception du réel.
La nature elle-même devient un orchestre à ciel ouvert dans Polyfonatura (Norvège, 2019 – photo 10) de Jon Vatne, où chaque bruit naturel se transforme en note d’une symphonie, offrant une expérience immersive où l’art sonore se fusionne avec l’environnement naturel.
Avec 26 films issus de 17 pays, cette rétrospective vous invite à redécouvrir le cinéma à travers le prisme du son. Ces créateur·rice·s, souvent invisibles, transforment chaque bruissement du quotidien en œuvres d’art auditives, offrant une expérience où le son est le héros invisible, et où vos oreilles deviennent les guides d’un voyage cinématographique inédit.