Dernier verre avec Alan
Entretien avec Mostafa Gandomkar, réalisateur de Alan
Pouvez-vous nous raconter comment vous avez réuni ces acteurs et choisi le lieu de tournage ?
Après l’écriture du scénario, le premier obstacle qui s’est présenté à moi a été de filmer dans un contexte aussi difficile. Pour satisfaire mon désir de réalisme, j’ai dû passer beaucoup de temps en pré-production. Je peux vous dire sans mentir que j’ai ratissé toutes les provinces, les villes et les villages de l’ouest de l’Iran pour trouver le lieu de tournage et les acteurs. Pour choisir les acteurs et actrices qui joueraient dans Alan, le facteur déterminant était qu’ils ressemblent aux Kurdes syriens d’Irak et de Syrie. J’avais remarqué qu’avec tous les reportages sur les Kurdes syriens, les gens du monde entier connaissent les visages de ces réfugiés, ainsi que leur allure, et donc, réalisme oblige, il fallait soigner tout particulièrement la sélection des comédiens.
Après une première étape de recherche sans succès, j’ai décidé de me rendre en Irak et de faire le film à Sulaymaniyah, mais mon voyage dans ce pays m’a dissuadé lorsque j’ai découvert l’insécurité ambiante et les obstacles que rencontrerait un tournage. Je suis donc rentré au pays pour visiter de nombreux villages. J’ai enfin réussi à réunir un groupe d’acteurs et d’actrices de différents villages pour tourner. Ce qui était intéressant dans le fait de travailler avec des acteurs non professionnels, c’était leur ignorance du monde du cinéma, qui rendait mon travail de metteur en scène un peu difficile mais passionnant. Par exemple, l’acteur qui joue le rôle du vieil homme est un berger qui n’était jamais allé au cinéma de sa vie.
Quant au lieu de tournage, j’avais pris de nombreuses photos de maisons dans les villes et les villages où je cherchais mes acteurs. J’avais donc plein d’images de bâtiments d’architectures différentes dans la tête. Nous avons fini par trouver cette maison dans le village de Ganjabad, dans la région d’Oshnavieh.
En fait, nous avons fait beaucoup de changements : par exemple, les maisons de ce village n’ont pas de murs qui délimitent la cour, ni de porte d’entrée ornementée. Nous avons modifié les couleurs, l’aménagement intérieur et au final, il n’y avait plus rien à voir entre la maison d’origine et ce qu’on voit dans le film.
Certaines scènes sont filmées dans un style documentaire, et d’autres sont très cinématographiques (par exemple celle où l’on voit les hommes regarder des vidéos sur leurs téléphones en fumant des cigarettes). Était-ce un choix délibéré de mélanger les deux ?
Je suppose que vous voulez distinguer le travail de prise de vue d’un documentaire où il n’y a pas de mise en scène (positionnement, montage) et le style cinématographique qui utilise ces éléments de mise en scène. Oui, j’ai utilisé les deux styles, intentionnellement. Comme disait le grand maître Abbas Kiarostami, « même les meilleures fictions sont des documentaires ». J’ai énormément travaillé à rendre le film Alan le plus crédible possible. La caméra se positionne de façon à donner l’impression au spectateur qu’il se trouve parmi les invités d’Abdollah, de Reihan et d’Alan, qu’il partage ces moments de vie avec eux.
Le contraste entre l’ambiance joyeuse et détendue du début et le départ dans l’urgence à la fin du film est saisissant. Que souhaitez-vous susciter chez le spectateur ?
Au début du film, on voit trois personnages qui entrent dans la maison et on se retrouve dans une fête qui bat son plein et au cours de laquelle plusieurs choses se passent. La caméra se comporte comme un invité qui déambule et assiste aux événements sans s’appesantir sur une intrigue plutôt qu’une autre. Ce rapport entre la caméra et les choses est maintenu tout au long du film grâce au mouvement et à l’ambiance de la fête, qui donne au film son rythme endiablé.
Le personnage d’Alan s’inspire-t-il d’une de vos connaissances ?
J’ai eu l’idée de ce film quand j’ai vu l’image du petit Alan, un petit enfant innocent, kurde syrien, qui a été retrouvé mort sur la plage, le visage contre terre. C’était une image déchirante qui restera sans doute un symbole dans les annales de l’histoire. Il n’y a pas de lien direct entre mon film et l’histoire du petit Alan, mais on n’est pas complètement hors sujet non plus !
À force de voir tous ces réfugiés syriens et kurdes s’amonceler aux portes de l’Europe, ces conflits militaires et les mauvais traitements dont sont souvent victimes ces familles, je me suis posé cette question toute simple : ont-ils toujours été sans domicile ?!
Dans ce film, j’ai voulu montrer leur espoir et leur bonheur d’avant la dispersion, histoire de dire que tous les réfugiés du Moyen-Orient avaient des maisons et des rêves bien à eux avant toutes ces guerres. Ils ne pensaient qu’au bonheur de leurs enfants avant cette situation.
Pour en revenir au changement de rythme, cela aurait pu nuire au message du film et déstabiliser les spectateurs, j’ai donc eu recours à une technique que l’on peut qualifier de cinématographique, afin d’équilibrer le rythme du film et de faire passer un message important au spectateur. Ainsi, dans les scènes où le sentiment d’insécurité apparaît, Abdollah fait beaucoup moins de mouvements. C’est peut-être pour cela que vous avez distingué entre styles documentaire et cinématographique.
Des coups de cœur cinématographiques cette année ?
Pour parler de mes influences cinématographiques, je suis dans la lignée des réalistes et naturalistes. Certes, l’histoire du réalisme est aussi vaste que celle du cinéma, mais si je devais citer des réalisateurs, je dirais que les styles qui m’intéressent sont ceux de Jean Renoir, Robert Bresson, Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard, les frères Dardenne, Ken Loach, Michael Haneke, Krzysztof Kieślowski, Alejandro González Iñárritu, Emir Kusturica, Abbas Kiarostami et Asghar Farhadi. J’estime que ces grands noms du cinéma ont atteint l’excellence dans leurs styles respectifs, tant au niveau de la forme que du contenu, et qu’ils méritent notre plus grand respect.
Si vous êtes déjà venu à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
Ce sera la première fois que je viens au festival du court métrage de Clermont-Ferrand, et je suis heureux que cet événement existe. Je pense que derrière ce grand festival, il y a une équipe intelligente et sérieuse dont le travail acharné suscite admiration et louanges. Quand j’ai appris que mon film était sélectionné en compétition internationale du festival de Clermont-Ferrand, j’étais vraiment content car j’ai fait ce film avec mes propres deniers, j’ai même vendu ma maison pour pouvoir faire ce court métrage. Aucune ONG, aucune institution de mon pays n’a accepté de me financer. Il y a plusieurs raisons derrière cela, entre autres le fait qu’on ne s’intéresse pas vraiment au peuple kurde.
Le festival m’a redonné l’espoir de pouvoir diffuser Alan au niveau international. J’espère que je pourrai, lors du festival de Clermont, rencontrer des agences et des producteurs internationaux , et en vendant mon court métrage Alan, trouver des aides pour réaliser mon prochain projet.
D’autres projections de prévues ?
Alan n’a encore été projeté dans aucun festival, ni aucune autre manifestation publique. Clermont est le premier festival où il sera présent. Il est inscrit dans d’autres grands festivals et nous attendons des réponses pour la fin février.
Est-ce que vous participerez à d’autres événements pendant le festival de Clermont-Ferrand (Expressos, conférences ou autre) ?
C’est avec plaisir que j’assisterai aux conférences pour avoir des retours d’autres réalisateurs sur Alan. Pour finir, je tiens à vous remercier de cette interview et de l’intérêt que vous portez à mon film.
Pour voir Alan, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.