Dernier verre avec Aline
Entretien avec Simon Guélat, réalisateur de Aline
Pourquoi vouliez-vous que le sujet principal du film soit une relation amoureuse cachée ?
Comme dans mon premier film, ce qui m’intéresse c’est comment un personnage s’affranchit (ou non) d’un milieu duquel il est issu, sa capacité à inventer quelque chose d’autre, d’inattendu. Dans Aline, l’interdit ajoute une tension, il rend la relation plus romanesque. Il faut s’aimer la nuit, dans les bois, sous la lune. Pour Alban, le personnage principal du film, ce n’est peut-être pas tant braver l’interdit qu’échapper au regard de sa mère. Mais à vrai dire, pour moi, le sujet principal du film est encore ailleurs. C’est plutôt comment la littérature (ou l’art en général) peut nous aider à soutenir la vie, à ouvrir des portes et élargir notre vision.
Êtes-vous particulièrement intéressé par la thématique des relations secrètes et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur cette question ?
Je prépare un prochain court-métrage qui ne traite pas directement de cette question. Mais ce qui est sous-terrain m’intéresse toujours.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question de l’ambiguïté masculin-féminin d’Aline ?
Ce film est inspiré d’un roman de Charles-Ferdinand Ramuz publié en 1905. Alban lit ce roman dans le film et s’identifie à la jeune héroïne, Aline, qui vit un amour naissant avec un paysan du village, Julien. La trajectoire d’Aline se confond alors avec celle du jeune adolescent dans mon film. Je voulais incarner ça à l’image, que ce ne soit pas qu’une idée, qu’on puisse voir en Alban le visage d’Aline. L’impossibilité pour Aline de vivre une relation au grand jour avec Julien (parce qu’ils ne sont pas du même milieu) est encore vivante pour Alban aujourd’hui, pour d’autres raisons. La morale sévit ailleurs. Aussi, je voulais que ce soit davantage la féminité que l’homosexualité d’Alban qui pose problème. J’ai l’impression que la découverte de l’homosexualité pour un jeune adolescent a été beaucoup traitée au cinéma. Là, j’avais envie d’un personnage libre, folle, qui assume de sortir du cadre.
Pourquoi ne voit-on jamais le père de Julien dans le film ?
Parce qu’il n’existe pas non plus dans le roman de Ramuz. Et que cela renforce la relation étouffante entre la mère et le fils. La mère lui dit à un moment : « tu sais, l’amour, c’est quelque chose qui passe vite ». On peut s’imaginer alors que son passé amoureux est compliqué. À cette réplique, Alban répond par un regard foudroyant. Peu importent les conseils et les interdictions de sa mère, il vivra cet amour.
Pourquoi vouliez-vous jouer avec ce qu’Alban projette dans sa relation en parallélisme avec un roman qu’il est en train de lire ?
C’est ce que j’expliquais plus haut, ça donne plus d’ampleur à ce qu’il vit. J’aimais aussi qu’on puisse avoir le doute : est-ce qu’il fantasme cette histoire ou la vit-il vraiment ?
Y-a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Ce format-là était juste pour cette histoire-là. Je n’ai pas l’expérience du long, mais je ne pense pas que le moment du tournage y soit vraiment différent. Il faut se battre avant tout avec soi-même pour rester le plus libre possible.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
À l’écriture du film, j’avais plutôt en tête des films portugais, comme John From de João Nicolau où une jeune adolescente, seule, un été, dans son immeuble de banlieue, s’invente une histoire d’amour avec le voisin. Pour le côté littéraire du film, j’avais Truffaut ou Desplechin dans un coin de la tête. J’ai revu aussi l’adaptation qu’a faite Claude Goretta de C.-F. Ramuz avec Jean-Luc persécuté. À l’image, je voulais décoller du réel, être tout à fait avec le protagoniste, dans sa subjectivité, ses fantasmes. J’ai cherché un certain lyrisme, avec des mouvements de caméra parfois appuyés ou l’emploi du zoom. L’idée était d’assumer un côté mélo-dramatique, comme dans Cléo de 5 à 7 (Varda) ou Prima della Revoluzione (Bertolucci).
Pour voir Aline, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.