Breakfast avec Anna Vernor II
Entretien avec Eduardo Carretié, réalisateur de Anna Vernor II
Que pouvez-vous nous dire de la genèse de votre film, Anna Vernor II ?
Margaux Lorier, la productrice (Envie de Tempête Productions), m’avait contacté en 2016 après avoir visionné mon premier film, La fille du bunker. Elle m’a demandé si j’avais des projets en cours d’écriture, je lui ai envoyé une première ébauche de scénario. A l’époque le film s’appelait La promenade des fous et c’était un scénario hyper-étrange, le genre de scénario qu’un producteur raisonnable mettrait directement à la poubelle. Mais Margaux m’a soutenu, l’histoire a évolué, s’est améliorée au fil du temps. L’écriture d’Anna Vernor II s’est finalement étendue sur une assez longue durée, il y a eu plusieurs réécritures. Je questionnais beaucoup la fin. J’avais envie d’écrire une fin surprenante, et ce n’est pas venu du premier coup. C’est plutôt venu lors du vingtième coup. Je suis content d’être allé au bout et d’avoir fait le film, qui, à mon avis, est meilleur que le scénario.
Pourquoi avez-vous choisi de situer le film dans un univers fantastique pour évoquer le processus du deuil, le souvenir ?
J’écris des histoires « fantastiques » depuis que je suis adolescent. Au début, c’était des nouvelles. Ce n’est pas un choix conscient d’écrire dans un genre particulier, c’est ma façon d’aborder la fiction pour l’instant. J’imagine que le fantastique m’aide à évoquer des thématiques de manière détournée, allégorique. Pour Anna Vernor II, c’était le souvenir, et son « objectivation », qui m’intéressait. Parfois il m’arrive de me poser des questions du genre « qu’adviendra-t-il de mon bureau quand je serai mort ? De ma raquette de tennis avec laquelle j’ai joué pendant quinze ans de ma vie ? ». Le début du roman L’invention de la Solitude de Paul Auster résume assez bien ce type de questionnements. C’est l’histoire d’un homme qui, après la mort de son père, se rend dans la maison paternelle afin de trier ses effets personnels. En tout cas, c’était là le point de départ du scénario : la manière dont les objets peuvent absorber la vie de leur propriétaire, continuer à vivre sans lui.
La bande-son du film est particulièrement remarquable. Comment avez-vous travaillé avec son compositeur ?
Je voulais travailler avec Paul de Menthon, un ami musicien avec lequel j’avais déjà collaboré sur un autre projet. Connaissant Paul de longue date, je savais que l’atmosphère du film pourrait lui parler. Paul a suivi le projet depuis le début, nous avons échangé de la musique pendant plusieurs mois. Et puis, un jour, nous nous sommes retrouvés vers 15h dans son atelier de la Porte des Lilas, là où il peint et fait de la musique. Au centre de l’atelier, il y avait un piano. Il s’est assis en face du piano et a commencé à jouer une mélodie qui m’a directement plu. J’ai sorti le scénario, j’en ai lu des parties à voix haute, pendant qu’il continuait de jouer. Cela a pris une demi-heure environ, le thème du film était trouvé, c’était une évidence. Paul a ensuite introduit l’idée qu’il fallait utiliser l’orgue comme instrument. Un an plus tard, le film était tourné, et nous sommes allés, vers minuit, au Temple des Batignolles. C’est là-bas que nous avons enregistré toute la musique du film sur un orgue traditionnel, avec l’aide des formidables Claire Duizabo (organiste) et Arnaud Toulon (producteur musical) !
Le film bénéficie d’une belle distribution. Comment avez-vous dirigé les acteurs sur ce film pour créer cette atmosphère particulière, presque onirique ?
Le film a été très agréable à monter, ce qui veut dire que les acteurs ont été bons. J’ai eu beaucoup de chance de les réunir sur un même film. J’avais déjà travaillé avec Tara-Jay Bangalter sur mon premier court. Sur le plateau, comme on se connaît bien, j’ai l’impression qu’on arrive à ajuster le jeu de manière assez fluide, en échangeant peu de mots. Les deux premières nuits de tournage, nous avons tourné directement des séquences à quatre comédiens. Nous avons commencé par les plans larges, et ce n’est pas facile de trouver le bon rythme, le bon ton, quand tu es loin des comédiens. Vincent Macaigne, qui a le rôle d’un gourou un peu dingue, provoquait parfois des rires chez ses voisins. Il fallait réussir à rendre crédible cette situation grotesque, sans quoi le film s’écroulerait. À un moment, comme c’était compliqué, j’ai décidé de diffuser la musique du film à fond sur le plateau. Cela nous a bien aidé. Le plan large qui est monté dans le film, c’est toujours celui où la musique avait été diffusée en début de prise. Dans un film comme celui-là, la direction d’acteurs tient aussi beaucoup aux décors et aux costumes. Nous étions dans un cadre particulier, dans un château, en pleine nuit, il n’y avait pas une goutte de vent. C’est peut-être cette atmosphère onirique qui a dirigé les acteurs, plus que l’inverse.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Anna Vernor II est un produit dérivé de l’imaginaire propre aux sagas adolescentes. Le titre du film est une référence à ces histoires fantastiques qui nous ont vu grandir. Pas de moquerie cependant, plutôt une tendresse nostalgique teintée d’humour noir et de poésie. Ma tentative, avec ce film, c’est de me réapproprier le monde des contes, le monde de l’enfance, en le confrontant à des thématiques plus « adultes ». Je citerais volontiers Edgar Allan Poe, Twin Peaks de David Lynch, Harold et Maude de Hal Ashby, parmi d’autres.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Dans Anna Vernor II je me suis permis d’explorer un univers purement magique, plus difficile à faire tenir sur un format long. En effet, j’ai de vrais doutes sur le fait de tenir une heure trente sur un film où l’une des vedettes principales est un chandelier magique. Le format court offre cette possibilité de tester un univers, de s’engager à 100% dans la voie du romantisme.
Pour voir Anna Vernor II, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.