Goûter avec Apfelmus (Compote de pommes)
Interview d’Alexander Gratzer, réalisateur d’Apfelmus (Compote de pommes)
Apfelmus est un magnifique court métrage d’animation. Comment avez-vous créé ce conte philosophique ?
Lorsque j’ai commencé à travailler sur la première scène d’Apfelmus, je n’avais pas d’idée précise concernant la direction qu’allait prendre le film ou même sa fin. Je me suis contraint à ne pas prendre de décisions préliminaires sur la narration afin, dans un premier temps, de ne pas limiter l’improvisation. Au lieu de faire un story-board, j’ai défini un cadre formel, indiquant la durée totale d’environ sept minutes et trois scènes de la même longueur en couleur. De cette façon, je pouvais naviguer librement autour de ces éléments, sans perdre la vue d’ensemble. Tout comme la trame de l’histoire, les dialogues et l’animation sont arrivés au fur et à mesure, en parallèle. Les petites idées se sont succédé chronologiquement, depuis la première phrase prononcée par les oiseaux jusqu’à la dernière des ours polaires. Je tournais en rond dans ma chambre, faisais de longues siestes l’après-midi et buvais un expresso avec l’espoir que les idées me viennent. Lorsque je finissais par trouver une bonne phrase, je l’enregistrais, la téléchargeais dans mon logiciel de dessin et faisais la synchronisation labiale. Puis, je recommençais à tourner en rond et à réfléchir à la réaction adéquate à la phrase sur laquelle je venais de travailler. Ce type d’improvisation représentait un énorme avantage selon moi : au lieu de travailler sur des scènes prévues en amont, j’avais l’opportunité d’inclure des éléments de surprise, de changer d’avis…
Pouvez-vous expliquer ce que les gardes incarnent ou symbolisent dans votre film ?
Apfelmus était mon projet de fin d’études pour mon diplôme d’arts appliqués à l’Université de Vienne : j’avais envie de faire un film sur mon expérience d’étudiant. Pour cette raison, les personnages et les dialogues sont très largement inspirés de mon environnement universitaire. J’avais par exemple ce professeur qui préférait porter une écharpe rouge (pour dégager un sérieux artistique). Il parlait de manière si « intellectuelle » que personne (ni même lui) ne pouvait le comprendre. J’étais un jeune étudiant et j’ai été impressionné par son discours en apparence si intelligent et j’ai porté une écharpe rouge pendant quelque temps. Mais très vite, j’ai voulu apporter de l’humour dans ma vie et je me suis lassé de jouer un rôle. Je me suis souvent interrogé sur l’authenticité de ma situation et demandé à quoi ressemblerait une vie différente, plus « terre à terre ». Néanmoins, cela m’a pris du temps de surmonter les différents obstacles psychologiques que je rencontrais. Les deux gardes symbolisent donc cet étrange cap séparant la vie pleine d’humour que je souhaitais et mon ancien moi « à l’écharpe rouge ».
Pouvez-vous nous parler un peu de votre style d’animation minimaliste ?
Lorsque je me penche sur les premières années de ma vie, je trouve amusant de constater que mon amour pour le minimalisme n’a que très peu changé. Même avant, je préférais ne dessiner que de très petits détails, comme une minuscule oreille, sur une grande feuille de papier. Ce n’est que tout récemment que je me suis davantage intéressé à la composition et au gaspillage du papier. De manière générale, on peut dire que j’ai une préférence pour ce type de minimalisme, qui se concentre sur l’humain et les singularités de la vie quotidienne.
Y a-t-il des libertés que le court métrage vous a apportées ?
Jusqu’ici, Apfelmus est ma plus longue réalisation (7 minutes). Je peux donc difficilement juger de la liberté liée à des formats plus longs. Ma filmographie présente cependant une petite particularité : j’ai presque toujours réalisé mes films seul. J’ai ainsi toujours bénéficié d’une grande liberté dans mes choix. Par exemple, je pouvais décider chaque jour si je préférais boire une bonne tasse de café ou faire une sieste l’après-midi. Le plus souvent, je décidais de faire une sieste.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
Enfant, j’adorais les Monty Python. Une fois, j’ai fait des allers-retours en courant devant ma classe en frappant sur deux noix de coco pour faire un discours sur Monty Python : Sacré Graal !. Aujourd’hui, mes centres d’intérêt se sont diversifiés, mais j’ai toujours une préférence pour les réalisateurs qui abordent les questions sérieuses de la vie avec beaucoup d’humour, comme le réalisateur suédois Roy Andersson, qui avec ses observations étranges présente un éclairage intéressant de la vie suédoise et des abysses présents chez les Hommes. J’admire aussi beaucoup Jim Jarmusch (notamment Coffee and Cigarettes et Night on Earth), Maren Ade (Toni Erdmann) et Fatih Akin (surtout Julie en juillet et Head-On). J’apprécie aussi de nombreux artistes extérieurs au milieu du cinéma, comme Pieter Brueghel l’Ancien ou Grayson Perry. Tous ces artistes ont en commun un amour de l’observation des relations et comportements humains.
Pour voir Apfelmus (Compote de pommes), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.