Dernier verre avec Average Happiness (Les stats en folie)
Interview de Maja Gehrig, réalisatrice de Average Happiness
Comment avez-vous eu l’idée d’animer des diagrammes ?
L’inspiration pour Average Happiness est venue d’une faute d’orthographe. Alors que je rédigeais une proposition pour un autre projet de film, j’ai dû joindre un organigramme à mon message, mais j’ai écrit « onaniegramm ». Cela m’a donné l’idée de traiter les diagrammes comme des personnages et des corps et de révéler leur potentiel sensuel caché.
Les diagrammes utilisés dans le court métrage sont-ils conçus à partir de réelles statistiques ou inventés ?
Tous les diagrammes sont inspirés de diagrammes existants trouvés sur Internet. J’ai parfois fait des changements mineurs et modifié leurs couleurs, leurs formes ou le texte. En combinant les diagrammes et en les animant j’ai créé un nouveau contexte et un nouveau contenu. Même les passages lus de la présentation (la voix off) sont des enregistrements trouvés. L’auteur m’a donné l’autorisation de les utiliser dans le court métrage.
Avez-vous travaillé sur le son et les graphiques simultanément ou avez-vous réalisé ces étapes l’une après l’autre ?
Comme le film ne présente aucun personnage « réel » pourvu d’une psychologie humaine, la musique et les sons sont très importants pour interpréter les images et déclencher des émotions. Dans un premier temps, j’ai commencé par les bruitages et l’ambiance sonore. Par la suite, mon monteur sonore a modifié et adapté le son. Joy Frempong, la compositrice de la musique, a commencé à écrire les morceaux au tout début de la préproduction du film. La musique et les graphiques ont donc été conçus en même temps et se sont influencés de manière réciproque. Ce processus ressemblait à un puzzle.
Comment avez-vous conçu les différentes séquences ? Représentent-elles une sorte de tableau vivant ?
Il était très important pour moi d’illustrer l’overdose de datas et de statistiques à laquelle nous sommes exposés. Nous sommes entourés de diagrammes, qui sont parfois utilisés hors de leur contexte et difficiles à lire ou à comprendre. Cela ne me suffisait pas de transférer les diagrammes dans des corps et des personnages. Je voulais avoir dans mon film autant de diagrammes que possible pour présenter des sujets variés et issus de contextes différents. Et cela n’était réalisable qu’en utilisant plusieurs diagrammes dans le même plan. J’ai commencé à m’amuser avec les barres des graphiques pour qu’elles ressemblent à une skyline. J’ai donc opté pour l’environnement urbain, puis j’ai recherché d’autres potentiels scéniques dans les diagrammes. J’avais donc mes décors dans lesquels placer mes « personnages ». La présentation PowerPoint que l’on suit est une autre intrigue. Elle sert de cadre à l’action. J’ai décidé d’interrompre les séquences à plusieurs reprises afin de trouver le rythme du film. Pendant le développement de la dramaturgie, j’ai découvert le potentiel narratif du curseur. Au début du film, il n’est qu’un effet indésirable et agaçant de la présentation, puis il commence à en prendre le contrôle et à interagir avec les digrammes et à les provoquer. À la fin, j’ai assemblé ces différents aspects et différentes couches ensemble, avec l’aide de mon conseiller dramaturgique Paul Bush et de mon équipe. Les séquences sont composées de nombreuses couches différentes. J’ai ajouté des diagrammes, supprimé du texte, modifié les formes… J’ai suivi mon instinct pour choisir les couleurs et les formes. De ce point de vue là, on peut donc les considérer comme des tableaux vivants.
Y a-t-il des libertés que le court métrage vous a apportées ?
Oui, absolument. Dans un court métrage, on peut créer un univers beaucoup plus abstrait et dense que dans un long métrage. On peut essayer des formats très expérimentaux, notamment dans les films d’animation, qui permettent de raconter des histoires autrement. Le mouvement, la couleur et la forme sont des éléments poétiques avec lesquels on peut jouer. On peut travailler avec les mots de manière abstraite, ce qui serait compliqué à appliquer à un roman. J’adore réaliser des courts métrages ! Surtout parce que l’on peut raconter des histoires grâce à des métaphores.
Quelles œuvres vous ont inspiré ?
J’ai regardé de nombreuses symphonies urbaines. J’ai certainement été influencée par Futon de Yoriko Mizushiri et Una furtiva lagrima de Carlo Vogele. Ma façon de travailler avec l’ensemble de diagrammes et probablement influencée par les films de Paul Bush. Mais, j’ai été inspirée par de nombreux autres courts métrages d’animation pour ce film.
Pour voir Average Happiness, rendez-vous aux séances de la compétition labo L1.