Dîner avec Beetle Trouble (Problème de scarabées)
Entretien avec Gabriel Böhmer, réalisateur de Beetle Trouble (Problème de scarabées)
Dans quelle mesure étiez-vous intéressé par les troubles mentaux, les neuroleptiques et les antipsychotiques lorsque vous avez réalisé Problème de scarabées ?
Je m’intéressais particulièrement à la santé mentale et ses liens avec l’avidité. J’ai essayé de représenter cette idée à travers le personnage principal, John, qui se retrouve à parler avec des insectes autoritaires et excessifs. Dès le départ, j’ai décidé qu’il était préférable de laisser de côté l’élément de la psychose et de raconter l’histoire du point de vue de John. Je sentais qu’un débat sur le caractère réel ou non des scarabées banaliserait son histoire. En même temps, je voulais continuer à représenter le thème des obstacles mentaux à travers le surréalisme visuel, comme au moment où des clous tombent de son ventre. Une fois que j’ai su que je voulais raconter l’histoire du point de vue de John, je me suis penché sur son traitement. Cela m’a conduit à m’intéresser à l’automédication et à notre tendance à la passivité face à des influences négatives. C’est devenu un élément déterminant du film. J’ai imaginé que John avait lu les écrits de David Hume sur l’utilitarisme et qu’il était, comme moi, profondément influencé par l’idée que nous devons choisir nos actions en fonction de ce qui est le plus avantageux. Mais pour John, la situation est sans espoir. Donc, il ne fait rien. Même lorsque les scarabées lui volent ses chaussures et lui chuchotent des choses horribles pendant son sommeil. À partir de là, il s’agissait de montrer ce qui pouvait l’amener à comprendre qu’il était en mesure d’agir sur son environnement et d’avancer positivement dans son traitement.
Comment avez-vous fait les dessins ? Combien de temps cela vous a-t-il pris ? Avez-vous utilisé du fusain, du crayon, ou autre chose ?
J’ai réalisé les dessins au crayon de cire rouge et au fusain sur du papier naturel non traité. J’ai dessiné certaines scènes image par image, et pour d’autres j’ai utilisé la technique du papier découpé. Cela m’a pris environ 800 heures, sur une période de 14 semaines. J’ai eu l’idée de dessiner principalement avec du rouge après avoir vu la collection « Insomnia » de Louise Bourgeois. Je cherchais quelle palette de couleurs utiliser pour le film, et lorsque j’ai vu son travail au Musée Picasso de Málaga, cela a immédiatement résonné avec ce que je voulais exprimer. J’ai écrit l’histoire du film à un moment où je ne dormais pas beaucoup et où je ressentais donc un lien très viscéral avec l’œuvre de Louise Bourgeois.
Pourquoi avoir utilisé des clous, des insectes, des fleurs et des os comme métaphores ?
Il y a des scarabées partout ! L’ordre auquel ils appartiennent, les coléoptères, est celui qui comprend le plus grand nombre d’espèces au monde. Leur rôle dans l’écosystème est bien sûr très utile. Les coccinelles mangent les parasites des grappes de raisin servant à faire le vin, et on les en remercie ! Mais j’ai imaginé le sentiment de claustrophobie qu’on ressentirait si on était entourés de créatures irrationnelles comme les scarabées narcissiques de mon film. J’ai pensé les clous, les fleurs et les os comme les éléments portant la narration émotionnelle du film. Ils apparaissent principalement dans les espaces négatifs, par exemple autour de la maison. Ceci permet à l’animation dessinée de faire avancer l’histoire, tandis que l’animation image par image exprime ce que ressent le personnage principal. Ces objets, et leur transformation, sont simplement mon interprétation personnelle et émotionnelle de ce que vit le personnage.
Dans quelle mesure pensez-vous qu’un animal de compagnie peut aider un humain à se détendre ?
Je pense que l’on peut beaucoup apprendre des animaux de compagnie, et des animaux en général. J’ai un chat très loquace qui aime mâchouiller les fils électriques en dehors de ses repas. Ce n’est pas l’animal de compagnie le plus reposant du monde, mais je l’aime quand même ! Peu lui importe que je le trouve bizarre, du moment que je lui caresse le dos quand il se sent seul. Et il a aussi ses angoisses irrationnelles, comme celles que lui provoque le son de mon concertina. Il est bon de se rendre compte que nous ne sommes finalement que des animaux idiots – mais que ce n’est pas si grave.
Que pensez-vous du rituel et des façons dont nous passons d’une étape de notre existence à une autre ?
C’est une bonne question ! Le « rituel » est une manière intéressante de décrire le processus de passage à une autre étape de notre existence. Il y a dans ce mot une idée de répétition. Quand il s’agit de notre bien-être, nous pouvons être indisciplinés. Nous sommes passifs et espérons que les problèmes disparaîtront d’eux-mêmes, ou qu’un quelque chose résoudra tout. Mais si on veut être bon dans une pratique quelconque, par exemple la trompette, le vélo ou le conseil en comptabilité fiscale, il faut s’entraîner. Je crois qu’il en est de même pour l’existence positive. Il faut s’entraîner à vivre positivement. Les manières de le faire varient d’une personne à une autre, mais je pense qu’il faut que ce soit un rituel fréquent.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le format court métrage est idéal pour expérimenter de nouvelles techniques. C’est dans Problème de scarabées que j’ai mélangé pour la première fois l’animation image par image et l’animation à partir de dessins. Et je n’avais encore jamais utilisé l’espace négatif comme dans ce film, par exemple lorsqu’à l’extérieur de la maison de John, les fleurs se changent en os. Si j’avais travaillé sur un format plus long, cela aurait peut-être été seulement un essai que je n’aurais jamais montré à personne. Mais grâce au format court, les gens peuvent voir ces étapes. J’aime aussi le format court en tant que spectateur. Certaines histoires sont moins longues à raconter. Ce qui, à mon avis, ne les rend pas moins intéressantes. Mieux vaut trouver un film trop court que trop long.
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je viens au festival de Clermont-Ferrand. J’aime voir le film avec un nouveau public. Cela me fascine d’entendre les interprétations des spectateurs dans différents pays. En septembre, j’étais au festival Message to Man de Saint-Pétersbourg, et là, un membre du public m’a appris qu’il existe un proverbe russe qui dit : « Tout le monde a ses scarabées. » C’est incroyable ! Je n’aurais pas pu mieux dire.
Participerez-vous à d’autres événements durant le festival de Clermont-Ferrand ?
Je participerai à une rencontre entre le public et les réalisateurs des films de la compétition Labo. Ce sera sûrement intéressant ! J’adore écouter d’autres réalisateurs parler de leurs techniques et entendre les interprétations personnelles, souvent uniques, de ceux qui ont vu mon film. Cette rencontre aura lieu à l’ESACM le lundi 5 février, après la séance de 15h00.
Pour voir Beetle Trouble (Problème de scarabées), rendez-vous aux séances de la compétition Labo L3.