Lunch avec Binnu Ka Sapna (Binnu : sa vie, son histoire)
Entretien avec Kanu Behl, réalisateur de Binnu Ka Sapna (Binnu : sa vie, son histoire)
Pouvez-vous expliquer le choix du titre ?
Littéralement, « Binnu Ka Sapna » signifie « Le rêve de Binnu ». Binnu est singulièrement porté par le désir de recréer le « nid d’amour » qu’il a connu entre ses parents. Il rêve aussi de comprendre et de conquérir le monde complexe qui l’entoure, que ce soit dans sa relation avec les femmes ou le chaos économique dans lequel il évolue. Les enseignes lumineuses qui brillent dans son dos quand il traîne dans les rues, le patron qui lui apprend comment va le monde. C’est ce rêve de conquérir le monde qui génère cette colère en lui. Pourquoi diable ses relations ne pourraient-elles pas se cantonner à la simple action de faire du thé pour quelqu’un ?
Comment expliquez-vous le chemin glissant et tragique qu’emprunte le protagoniste jusqu’à l’attaque finale ?
La colère provient d’une myopie, une incapacité à comprendre le monde et, en même temps, une incapacité à regarder en soi. Dans un sens, cette attaque a toujours été présente en Binnu. La pression n’avait plus qu’à monter jusqu’à éclater. Elle aurait pu se diriger contre son père violent, ou contre la fille à qui il n’a pas eu le courage d’adresser la parole à la fac, ou contre la jeune dévergondée qui jette son dévolu sur lui et se sert de lui. Une paranoïa accumulée, une étrange incapacité à s’exprimer, un lent resserrement mental qui l’accable, font que c’est le scénario le plus banal qui se réalise. Sa panique ne lui appartient pas. Ce doit être de la faute de la femme.
Pouvez-vous expliquer vos choix stylistiques ? Les longs plans fixes sur les visages des personnages, par exemple…
Pour nous (mon directeur de la photo, Siddharth Diwan, et moi-même), les deux choix principaux ont été le format d’image presque carré et les plans fixes. Il était important que l’image reflète la vision limitée de la pensée de Binnu. Il fallait plonger dans son esprit très particulier, déformé, biaisé par la paranoïa. Comment faire pour exprimer cela de manière précise ? Après quelques essais, nous avons jugé que le format carré créait l’effet d’un esprit qui s’étiole. Les plans fixes étaient censés extraire le récit de son contexte purement narratif. Les plans figés sur les étudiants permettaient d’élargir l’histoire à d’autres jeunes gens du pays. De même, les images fixes de femmes attendant le bus pourraient être celles de bien des femmes qui se sentent traquées par d’autres hommes. Les photos de fêtardes sur Facebook pourraient être celles que nous avons tous regardées un jour ou l’autre.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours de réalisateur et sur les sujets que vous aimez aborder ?
Je me suis toujours intéressé à ce qui est profondément personnel, et à la façon de le rendre terriblement universel. Je suis intrigué par l’idée d’inconscient collectif de Jung et le travail de R. D. Laing sur la structure de la famille. S’immiscer entre le « public » et le « privé » et découvrir les vies « secrètes » des êtres humains, vécues dans de petites chambres à gaz personnelles, voilà ce qui me passionne. Il est difficile de dire quels sujets m’intéressent car je tends à vouloir regarder à l’intérieur sans savoir ce que je vais y découvrir, avant de le remettre en question – et de trouver le prochain conflit.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Un court métrage, s’il est réussi, c’est comme un haïku. À l’économie, avec des élans de beauté. Il est ordonné, au sein de cet ordre, on trouve la juxtaposition, et encore plus loin, le chaos. Avec Le rêve de Binnu, je devais suivre une certaine forme et faire un film sans dialogues. C’est le film qui est la voix de cet homme aux prises avec le monde qui l’entoure, impatient de cracher son venin. De fait, j’ai tenté de créer une œuvre qui n’était pas une conversation mais qui s’explosait à la figure et mettait le spectateur au centre de cette explosion. Le format court m’a permis de traiter la « méta-narration », et c’est ce qui m’intéressait le plus.
Binnu Ka Sapna (Binnu : sa vie, son histoire) a été projeté en compétition internationale (I13).