Dernier verre avec Blind Sex
Interview de Sarah Santamaria-Mertens, réalisatrice de Blind Sex
Pourquoi avoir choisi de commencer le film par cette séquence d’intimité partagée imposée au personnage ?
Cette séquence est la première que j’ai eue en tête au moment de l’écriture du scénario et elle est restée intacte jusqu’au montage final. Ça me plaisait de rentrer dans l’histoire par le son, et puis de le mettre en contraste avec une image que l’on n’attend pas : le visage de l’actrice et son regard étrange. On ne sait pas forcément encore qu’elle est aveugle mais ça peut rapidement faire comprendre que son rapport au monde et à ce qui l’entoure sera au cœur du film. Et peut-être aussi que son enjeu sera probablement de vivre ses propres expériences et d’arrêter de subir celles des autres.
Entrer dans le film par son visage, ça permet d’être directement à sa hauteur, de partager très vite un moment d’intimité avec elle et de sentir que celui vécu au-dessus de sa tête par sa sœur est un élément extérieur. Tout passera par le ressenti de Louise et, en tant que spectateur, on est immédiatement invité à “voir avec elle“.
Il y a un côté provoc’ dans ce début, mais finalement ça résume bien là où elle en est dans son rapport à la sexualité qu’on peut facilement imaginer vécue par procuration, à travers sa sœur. De même, sa sœur agit exactement comme si elle n’était pas là et on s’imagine tout à fait que, paradoxalement, le fait d’être aveugle a pu la rendre invisible !
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au corps et à la nudité ?
De mon enfance jusqu’à mes vingt ans, j’ai passé une partie de mes étés en camping naturiste. C’est un monde particulier où la tolérance règne. Je n’ai pas tellement voulu filmer la nudité, mais davantage un rapport aux autres. Quand tout le monde est nu, on ne se mate pas. La nudité n’est plus un enjeu, l’idée est d’être tous égaux malgré nos différences physiques et quels que soient nos complexes.
Mais il y avait bien un enjeu filmique avec ces corps nus : éviter l’exhibition. Je voulais arriver à ce qu’on oublie leur nudité, que ça devienne une norme, que ce ne soit pas voyeur. C’était important de garder une pudeur. Les personnages sont nus mais ne sont pas impudiques.
Et dans les impacts du regard et du toucher dans le rapport amoureux ?
Je n’ai pas spécialement voulu montrer comment on tombait amoureux quand on ne voyait pas, mais plutôt comment la peur du regard des autres ou le handicap pouvaient empêcher la rencontre. Louise est aveugle, ce qui ne l’empêche pas d’être inhibée. Elle a peur d’être ridicule et de se livrer. Elle ne sait pas quelle image elle renvoie aux autres. Sa rencontre avec Léa va la libérer. Avec elle, elle se sent bien, car elle ne la considère pas comme une aveugle mais comme un individu à part entière. C’est cette égalité de rapport qui devient essentielle, plus qu’une volonté à montrer “comment voit et ressent une aveugle“. Même si, évidemment, j’ai travaillé à mettre en avant une “sensation du toucher“ et à être précise sur son espace sonore.
Finalement, pourquoi cet intérêt envers la sexualité vécue selon la perception d’une personne aveugle ?
Plus jeune, j’ai passé une semaine en vacances avec un groupe d’amis dont une femme aveugle. Mon premier réflexe a été de me demander si on allait devoir s’occuper de sa toilette… c’était bête ! Puis je me suis demandée comment la sexualité, et notamment l’homosexualité, était vécue chez les aveugles. Je ne voulais pas particulièrement savoir comment ils faisaient en pratique, mais plutôt comment ils la géraient face à la société. Dès qu’il y a handicap, il y a prise en charge. On veut protéger la personne, ou on n’évoque carrément pas le fait qu’une sexualité puisse exister car c’est trop gênant.
Quand on a peur, on cloisonne, on protège. Pour moi, du coup, c’était l’histoire d’une émancipation, d’un personnage qui se libère du regard des autres et va se réapproprier son corps.
Les autres rapports humains évoqués dans le film sont traités avec beaucoup plus de simplicité, en quoi le rapport à la sexualité devait-il être spécial ?
Passer par le sexe pour parler d’indépendance et d’autonomie était ce qui m’intéressait. L’émancipation de Louise passe par plusieurs étapes qui, d’une certaine manière, trouvent leur aboutissement dans la sexualité car c’est son grand moment de rencontre avec l’autre, de vraie mise à nu. C’est ce qui a amené ce traitement spécial, pour qu’on soit à ces moments-là, au plus près de son expérience.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Toni Erdmann me vient immédiatement. C’est vraiment un film généreux, de ceux qui font profondément du bien. On sent que tout le monde s’est donné sans compter, que chaque séquence prend des risques. Et puis on rit et on est émus aux larmes en même temps ! Cette ampleur est rare, peut-être plus encore dans les comédies.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Ce sera la première fois, et en plus, avec un premier film ! Je suis déjà très heureuse de faire partie de ce festival et je verrai bien ce qu’il me réserve.
Le film a-t-il bénéficié d’autres diffusions publiques ?
Oui, il a été sélectionné en compétition au festival Premiers Plans d’Angers.
D’autres participations sont-elles prévues durant le festival (rencontres, expressos, etc.) ?
Oui, je serai aux rencontres Expresso. Par ailleurs, le film fera l’objet d’une lecture publique du scénario par Marie Petiot et Eugénie Derouand, comédiennes Talents Adami Cannes 2016, suivie d’un échange autour de la direction d’acteurs vendredi 10 février 2017 à 10h salle Conchon.
Pour voir Blind Sex, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.