Breakfast avec Camrex
Rencontre avec Mark Chapman, réalisateur de Camrex
Comment avez-vous connu le centre Camrex ? Où se trouve-t-il ?
Camrex se trouve à Sunderland, une ville du nord-est de l’Angleterre qui a un riche passé industriel et était un haut lieu de la construction navale. Je faisais un casting pour un long métrage de fiction, pour lequel on travaillait beaucoup avec des gens de la rue. J’ai rencontré un ancien dealer qui m’a raconté qu’en sortant de prison, il avait été envoyé dans un centre d’hébergement en ville qui s’appelait Camrex House et avait une sale réputation. J’avais fréquenté de nombreux centres d’hébergement pour mon casting, mais là, c’était le grand saut dans l’inconnu. Une fois le long métrage terminé, j’ai décidé d’y retourner et de redécouvrir les gens et le lieu à travers un projet photo.
Comment s’est passé votre premier contact avec les résidents ?
Ma méthode de départ consistait à utiliser un appareil photo – pour Camrex, j’avais un vieux Polaroïd SX-70 – pour me saisir du sujet, découvrir les lieux, tisser des liens avec les gens et faire un travail sur l’image. L’alcool était autorisé dans le centre – il était facile d’acheter sur place de l’alcool pas cher – ce qui fait que certains résidents ne sortaient jamais. Comme je venais de l’extérieur, on m’a d’abord traité avec méfiance, mais je revenais quand même, je parlais aux résidents, je passais du temps sur place. À ce stade, je voulais créer un projet photographique à part entière. Au fil du temps, j’ai pris conscience qu’il y avait des ambiances, des personnages et des histoires qui méritaient une narration filmée. Bien sûr, ce changement de forme artistique entraînait son lot de nouveaux défis, mais à ce stade, les résidents s’étaient habitués à ma présence et je m’étais approprié les lieux. Peu après avoir commencé à travailler avec la caméra, j’ai découvert l’histoire de Derek, qui avait tué une mouette à coups de couteau. Cette image à la fois violente et insolite allait constituer mon point d’entrée dans cet univers.
Votre film précédent était composé de photographies. Pourquoi avoir choisi les images filmées cette fois-ci ?
Le projet Camrex est un projet pluriel comprenant un film de 15 minutes et une compilation de photographies (que vous pouvez voir sur www.mark-chapman.co.uk/three). Trans, mon film précédent, mélangeait des photographies et une technique cinématographique de photomontage où le mouvement était fixé par allongement du temps de pose, puis reconstitué en onze séquences vidéo montées en fondu-enchaîné. Pour Camrex, je souhaitais également avoir des images très maîtrisées, mais avec un montage plus parlant. Le lieu offrait des possibilités cinématographiques particulières dont il fallait tenir compte.
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Les images et le son ne sont pas synchronisés. Avez-vous d’abord réalisé les images ou la bande son ?
Comme pour mes films précédents, j’ai enregistré une série d’interviews, puis imaginé les scènes en fonction. Il y avait aussi des discussions hors-champ avec les résidents et mes propres remarques ou idées. À travers cette méthode, la syntaxe du film a pu se développer au fur et à mesure que les résidents se confiaient sur leurs relations avec le lieu et les uns avec autres. Il y a eu environ huit jours de tournage sur une période de quelques mois. Ce qui a laissé le temps à mes deux personnages principaux, Derek et Matthew, de s’investir dans le processus. C’est toujours important de s’investir, mais là, ça l’était encore plus car il fallait jouer les scènes. Ils ne s’étaient jamais retrouvés devant une caméra, ni l’un ni l’autre.
Pendant la phase de montage, je n’ai gardé que les éléments essentiels de la voix-off, afin de donner du poids aux mots ainsi qu’aux silences, et de laisser au spectateur le temps de rentrer dans le film.
Comment avez-vous abordé les résidents ? Les avez-vous filmés en cinéma direct ou dirigés comme des acteurs ?
Le film est presque entièrement joué, avec des gens qui sont les acteurs de leur propre histoire, et nous avons refait les prises autant qu’il était nécessaire. Ce qui m’intéresse, c’est l’utilisation de l’image et du son comme moyen d’expression pour évoquer la vie intérieure de mes personnages – l’intime, le subjectif, le sensoriel. Je savais que je n’aurais pas pu obtenir ce que je voulais en filmant comme simple observateur. En revanche, il ne faut pas se planter au casting car on en demande beaucoup aux participants.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’homme à la carabine ? Il tient des propos étranges en tirant sur un poster de femme.
Matthew a été condamné plus de 120 fois, y compris pour des délits d’ordre sexuel. Il a connu les centres de redressement, la prison, où, comme vous pouvez l’imaginer, on n’est pas tendre avec les délinquants sexuels. Du coup, il voyait tout le monde comme une menace potentielle, et sa réaction était d’extérioriser ces pressions. Il était agressif, physiquement et verbalement, et la scène est faite pour provoquer.
Quand on l’a tournée, il a levé la carabine et m’a visé à la tête. J’ai immédiatement arrêté de filmer. Je ne me suis jamais senti en danger, mais il fallait que je lui fasse comprendre que par cet acte, il transgressait le rapport qu’on avait installé. Deux jours plus tard, il a été arrêté pour cambriolage, ce qui a mis un terme à notre tournage.
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Camrex est en compétition Labo dans le programme L4.