Breakfast avec Cambodia 2099
Entretien avec Davy Chou, réalisateur de Cambodia 2099
Cambodia 2099 est une production ou co-production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
C’est ma société, Vycky Films, créée avec mes compères Jacky Goldberg et Sylvain Decouvelaere, qui a produit le film, donc dans notre cas la production française coulait de source. Après, de manière plus générale, avoir un producteur ou co-producteur français permet bien sûr l’accès à de multiples et exceptionnelles sources de financement. Mais c’est le cas également pour le long. Je dis exceptionnelles car il n’y a pas d’autres pays ayant un tel dispositif d’aide à la fabrication des films (j’en discute souvent avec des cinéastes d’autres pays, dont en Asie du Sud-Est notamment, qui se retrouvent souvent seuls pour financer leurs courts). Pour Cambodia 2099 par exemple, nous avons financé le tournage avec très peu de moyens, entièrement sur fonds propres, puis avons obtenu, sur présentation du montage, l’aide au film court du département de la Seine-Saint-Denis, en post production donc, ce qui nous a permis de finir le film.
Après l’introduction, la première scène de Cambodia 2099 donne à voir un paysage cambodgien où les couleurs semblent pastellisées. Est-ce un effet naturel ou avez-vous travaillé votre image pour rendre cette impression ? Et si c’est le cas, quelle technique avez-vous utilisée ?
Avec l’étalonneur Christophe Legendre et le chef op Thomas Favel, on a beaucoup cherché pour trouver cette texture d’image, très lisse, presque liquide, et ces couleurs, effectivement très saturées tout en restant extrêmement douces, cotonneuses. On avait dans le viseur à la fois l’image du manga et celle du jeu vidéo, type GTA, quelque chose de virtuel, numérique et coloré. L’idée étant de donner une forme à la façon qu’ont les personnages du film de percevoir leur environnement. Techniquement, je ne suis pas étalonneur mais de mémoire on a trouvé ça en poussant la saturation à fond, mêlé à de forts effets de contours et de travail sur le bruit, puis on a adouci…
Par la suite, vos personnages portent des vêtements très colorés et distincts. La lumière aussi est très présente. Zhang Yimou utilise les couleurs pour représenter différentes périodes ou différents points de vue d’une histoire unique. Attachez-vous particulièrement d’importance à la construction chromatique de vos films ?
Je voulais quelque chose de très simple à tous les niveaux, et de très coloré aussi. Les couleurs primaires pour les vêtements des personnages, c’est venu naturellement et c’était plutôt inconscient, mais à la vision des rushs j’ai trouvé que ça donnait un côté Bioman (avec le personnage de Sotha devenant une sorte de Bioman rouge du pauvre à la fin…). Concernant la lumière du film, oui il y avait l’idée de plonger pas à pas dans la nuit, et de jouer de cette manière des scènes stylistiquement très différentes, autant en termes de mise en scène que d’image, comme différents niveaux de perception du monde pour les personnages. Et à mesure qu’ils s’enfoncent dans la nuit, le son (designé par Vincent Villa) se fait aussi de plus en plus étrange, étouffé et artificiel, comme si on s’enfouissait progressivement dans les rêves et désirs des trois personnages. La lumière pour moi est une interprétation émotionnelle. La scène à moto est entre chien et loup, et incarne les sentiments du passage, du départ, de la fin de quelque chose. La nuit ensuite est noire, mais les phares multicolores et abstraits qui dansent derrière les visages des personnages sont comme un ballet de leurs émotions intérieures et inexprimées. Enfin voilà c’est comme ça que je le vois.
Dans Cambodia 2099, vous mettez en scène deux personnages. Le premier est un beau garçon un peu taquin, le second est plutôt le gentil maladroit mais attachant. Avez-vous envisagé vos acteurs comme un duo à la Francis Veber ?
Du tout non, j’ai bien peur de méconnaître le cinéma de Francis Veber ! Mais je suis content de la remarque car je crois que j’avais envie de faire une comédie, même si les gens n’ont pas l’air de trop rigoler face au film. En fait je me suis inspiré du caractère des deux acteurs, qui sont deux très bons amis (et pas du tout des acteurs professionnels : Kavich est cinéaste, Sotha est peintre), et c’est vrai que je voyais dans le contraste entre les deux une bonne matière de départ pour une fiction. Mais pour écrire leurs personnages je leur ai piqué plein de trucs, comme ce dialogue sur comment épeler « want », ou la blague sur le « free wifi » concernant les élections…
Ces deux adolescents sont intimement liés, pourtant ils se construisent dans des espaces différents : l’un dans le réel et l’immédiat, l’autre dans le fantasme et le virtuel. Pourraient-ils n’être que deux facettes d’un seul homme ?
Sotha a, c’est vrai, quelque chose d’immédiatement décollé du réel, mais les deux ont tout de même comme point commun un désir d’escapade, un désir d’autre chose, prenant des formes différentes. Là où dans le film ils s’opposent et se complètent, c’est dans leur manière de faire avec le temps : l’un rêve d’un futur très lointain, un futur presque magique, l’autre cauchemarde à partir du souvenir d’un passé inquiétant. Mais là aussi ils ont un point commun : leur impossibilité à être totalement dans le moment présent.
L’un de vos personnages s’apprête à quitter le pays, partant à la recherche d’un ailleurs. Ce besoin de voyage et la quête exploratoire qui en découle, l’avez-vous vécu ?
Je n’y ai pas pensé en ces termes, m’étant surtout inspiré de l’histoire d’un cousin que j’ai rencontré au Cambodge, et qui attendait depuis trois ans d’avoir des papiers pour rejoindre sa mère et ses sœurs en Alaska (!), où il a fini par partir pour devenir cuisinier, laissant derrière lui son père et son grand frère. C’était surtout chez lui l’étrange sentiment d’attente et d’incertitude totale face à l’avenir, en même temps que la formulation d’un rêve précis (partir aux Etats-Unis), qui m’avait saisi et influencé pour écrire le personnage de Kavich. Sur un plan personnel, je n’ai jamais pensé à partir de France, à l’époque où je suis parti m’installer pour la première fois au Cambodge (2009, pour les recherches sur Le Sommeil d’or), j’étais simplement, et un peu naïvement, excité à l’idée de découvrir un pays inconnu.
Dans Cambodia 2099, le scooter tient une place particulière. Êtes-vous attaché davantage au romantisme de ce mode de déplacement, au sentiment de liberté lié à la vitesse ou au côté rebelle du biker ?
Les motos roulent très lentement au Cambodge, on le voit dans la scène de moto dans le film ! Et c’est aussi le moyen de locomotion numéro un au Cambodge, donc il n’y a pas tellement de dimension rebelle. Bien que filmer des personnages roulant sur leurs motos soit toujours très cinégénique, je crois que ce qui m’intéressait ici, c’est à la fois le sentiment de glisse, comme du temps qui s’écoule inexorablement et de façon très paisible, l’incroyable vitalité dégagée par ce manège de motos de toutes les couleurs, l’impression de surplace enfin, de ces motos qui tournent absurdement en rond avec l’illusion d’avancer.
Votre film se situe au Cambodge et témoigne d’une souffrance liée à l’incapacité de se sentir relié à ses racines. Est-ce en parallèle avec ce pays dont l’histoire a été effacée par le régime de Pol Pot que vous vouliez explorer ce sentiment d’un manque de racines ?
Je ne sais pas pour les racines, mais c’est vrai qu’il y un sentiment d’amnésie que je ressens parfois ici, chez la jeunesse mais de façon aussi plus générale, qui souvent me frappe et que j’ai voulu explorer à travers ce film. Cette façon de se propulser vers l’avenir pour ne plus penser au passé, que l’ont peut juger inquiétante mais qui permet aussi le souffle des grands commencements. Mais je crois qu’au fond le sentiment du film c’est quelque chose de très universel, comme la difficulté d’être synchrone, le besoin de projection, et le mélange d’excitation et d’anxiété face à l’avenir.
Pour voir Cambodia 2099, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F6.
L’info en + C’est le producteur du film, Sylvain Decouvelaere, qui sera présent aux rencontres Expresso pendant le festival.