Goûter avec Children (Les enfants)
Interview de Paul Mas, réalisateur de Children (Les enfants)
Comment vous est venue l’idée de réaliser Children ?
Le projet s’est construit autour du personnage de Nicolas. Dans ma vie personnelle, j’ai souvent tenté de comprendre des personnes moralement condamnables, voire de me faire l’avocat du diable… Mon intention de base était de mettre le spectateur en position de juge durant tout le film, de le faire réfléchir, douter, peut-être même entrer en empathie avec Nicolas. C’est pourquoi j’ai écrit ce personnage de jeune ultra violent, mais détaché et un peu benêt, se situant dans une « zone grise » morale…
Avez-vous envisagé un tournage avec des acteurs en chair ou la marionnette s’est-elle imposée dès le départ ?
Dès le début, je voulais tourner le film en stop motion. C’est mon moyen d’expression depuis ma préadolescence, et j’aurais du mal à envisager d’autres techniques… Cependant je voulais me rapprocher le plus possible de la prise de vue réelle dans la manière de tourner, de monter… Ainsi, j’ai passé beaucoup de temps avec les acteurs sur des questions de jeu, de rythme… On répétait le texte a la manière d’une pièce de théâtre, plusieurs fois, jusqu’à trouver une dynamique qui se tenait et semblait crédible. À la fin, on a tout enregistré d’une traite, et j’ai construit le film sur les dialogues, sans toucher à la piste… Ainsi le rythme du film était amené par les acteurs et non par une animatique, comme on procède habituellement en animation. Et lors de l’animation des plans, je tournais deux secondes de plus au début du plan, et deux secondes de plus à la fin : ça me laissait plus de liberté lors du montage. Du coup le processus de fabrication du film était un peu hybride.
Comment avez-vous travaillé le corps de Nicolas ?
Les marionnettes sont construites autour d’une armature en métal qui leur permet de garder la pose lors de l’animation. Ensuite, les volumes principaux du corps sont construits en bois et collés sur l’armature. Après, je comble les espaces entre les volumes de bois avec de la mousse de matelas collée sur l’armature. Les parties en « peau » comme le visage, les mains, sont d’abord sculptées, puis tirées en silicone et peintes avec un mélange de silicone et de peinture à l’huile. Les costumes sont faits en tissu, en prenant bien les mesures des marionnettes pour que ça tombe bien. Les cheveux sont d’origine humaine ou synthétique, et je les travaille mèche par mèche avec de la laque, avant de les coller avec de la silicone sur le crâne. C’est très fastidieux mais lors de la fabrication, on s’attache aux marionnettes, et donc aux personnages…
L’impression de marmonnement de Nicolas est-elle voulue et pourquoi ?
Le système d’animation de la bouche était assez rudimentaire par manque de temps (il ne peut qu’ouvrir et fermer la bouche, pas articuler des syllabes…). Cependant, lors du tournage des voix, Clément Lefebvre marmonnait lui aussi (il avait un petit rhume ce jour-là !)… Ça donnait un coté détaché et taciturne – Nicolas, et ça me plaisait bien. Du coup j’ai essayé de garder cet effet lors de l’animation. L’animation en volume est extrêmement contraignante, et on est souvent amenée à s’adapter aux avaries techniques…
Pourquoi étiez-vous intéressé par la question du harcèlement scolaire ?
Au début de l’entretien, Nicolas refuse toute explication rationnelle a ses actes, toute « raison ». Il considère que son acte est complètement gratuit… La question du harcèlement scolaire est, au début du film, présente pour être évacuée par Nicolas, qui refuse d’admettre que ses actes sont motivés par des circonstances extérieures à lui même… C’est donc au spectateur de déterminer si les moqueries sont à l’origine de sa violence.
Où sont les adultes dans Children ?
Il y a une adulte, c’est Claire, la psychiatre ! Son histoire personnelle n’est pas montrée dans le film, mais je l’ai pensé comme une jeune diplômée sortant de l’école, qui fait preuve d’empathie, de capacité d’écoute… Elle flanche légèrement face à Nicolas, ça pourrait très bien être son premier cas. Dans l’avant-dernière version du scénario, Claire avait des problèmes avec sa hiérarchie à la fin du film : elle demandait à Maitre Durand un supplément de temps pour rendre son rapport, et elle se le voyait refusé. C’était intéressant car ça permettait d’opposer un monde « des adultes », responsable et rigoureux face à Nicolas… Mais j’ai retiré cette scène car elle faisait perdre au film son intensité dramatique : je craignais que le spectateur « sorte » de l’entretien…
Enfin, avant de réaliser Children, avez-vous entrepris des recherches sur le rapport entre folie et violence ?
Je me suis intéressé a de nombreux cas semblables à celui de Nicolas, où le tribunal hésite entre la prison et l’asile… Je me suis renseigné sur Anders Breivik, ou encore Alain Lamare (un homme ayant enquêté sur un meurtre qu’il avait commis lui-même !). Cette hésitation sur la question de l’irresponsabilité pénale est fréquente. J’ai également lu The Psychopath Test de Jon Ronson (Picador, 2012), qui condamne le sur-diagnostic des maladies mentales (dans certains cas). J’ai aussi parcouru le DSM5, le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ». C’est le livre de référence en université et également lors des procès lorsqu’il s’agit de déceler un trouble mental chez une personne. Donc oui, beaucoup de recherches… Je voulais que le film soit crédible et réaliste.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Ma vie de courgette de Claude Barras, évidemment ! Également Anomalisa de Charlie Kaufman et Duke Johnson. Sinon je ne vais, paradoxalement, pas beaucoup au cinéma… Je regarde les films chez moi ! Mais je suis très influencé par Funny Games, de Michael Haneke, par le travail documentaire de Depardon, Satoshi Kon…
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je suis déjà venu une fois au festival, en 2015 ! C’était très éprouvant, tout le monde dans ma colocation est tombé malade et tout le monde avait plein de problèmes en même temps… J’ai fini le festival complètement épuisé, heureusement certains courts métrages ont sauvé le tout ! Je me rappelle notamment de Ton cœur au hasard de Aude Léa Rapin, qui m’avait bien stimulé. Sinon pour cette année j’espère voir de bons films, et pouvoir présenter Children à des gens qui n’ont pas l’habitude de voir de l’animation. Et boire des bières !
Le film a-t-il bénéficié d’autres diffusions publiques ?
Il est passé au Carrefour de l’animation, au Forum des images à Paris. Également au festival Panam Anim.
D’autres participations sont-elles prévues durant le festival (rencontres, expressos, etc.) ?
Je fais les expressos, ainsi qu’une projection au Rio ou on pourra discuter avec le public, c’est vendredi 10 février, après la projection de 17h.
Pour voir Children, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.