Breakfast avec Cinq nuits
Interview de Guillaume Orignac, réalisateur de Cinq nuits
Pourquoi étiez-vous intéressé par la période du deuil ?
Ce n’est pas le deuil en soi qui m’intéressait, mais la suspension des affaires courantes qu’il entraîne chez les personnes les plus affectées par la perte d’un proche. Le point de départ du film se nourrit avant tout de petites et grandes angoisses compactées dans un film de maison hantée. Le genre, en lui-même, s’inscrit à la fois dans la veine fantastique et dans celle du mélodrame : là où il y a un fantôme, il y a toujours un enfant qui souffre, et une famille déchirée. Le deuil est cette période, parfois interminable, où on ne veut rien faire d’autre que laisser prospérer cette souffrance. Enfin, sauf à s’intéresser aux questions d’héritage, ce qui relève d’un autre genre, spécifiquement français.
Vous jouez avec le rapport à la réalité dans Cinq nuits, comment vous est venue cette idée ?
Je voulais explorer des motifs habituels du cinéma fantastique mais sans non plus tout à fait verser dedans. En France, pour des raisons historiques et géographiques, il reste difficile d’être crédible avec des histoires de fantôme ou de monstres. D’où cette opération d’indistinction entre ce qui est réel et ce qui est halluciné, sans que les frontières soient toujours déterminées. Le cinéma est un medium qui se prête particulièrement bien à cela : le fait de filmer une chose lui confère un poids de réalité mais un film reste en même temps une projection mentale, un ruban d’éléments imaginaires. Or, c’est justement la nature-même de ces éléments d’être à la fois réels et irréels pour ceux qui y croient. Et le film noue toujours un pacte implicite avec son spectateur, qui est celui de la croyance.
Comment avez-vous construit et élaboré l’ambiance de cette maison et de son environnement, d’un point de vue visuel et sonore ?
Pour l’ambiance visuelle de la maison, il faut dire que le décor, déjà existant, imposait ses propres conditions : le papier peint, l’accumulation de vieux meubles, la pénombre et son organisation spatiale sur plusieurs niveaux. Avec Lazare Pedron, le chef-opérateur, nous avons choisi d’aller dans le sens de cette esthétique, en l’accentuant parfois et en lui donnant un grand bain de clair-obscur. L’idée était de filmer cette maison comme le théâtre d’une lutte entre obscurité et lumière, entre la voracité de la nuit et la résistance du jour. Sur le plan sonore, ce fut un long et méticuleux travail de Vincent Villa, le sound designer, à partir des éléments de Bertrand Larrieu, l’ingénieur du son sur le tournage. Un travail très précis sur les éléments dont certains devaient sonner de manière réaliste et d’autres, plus abstraits. Mais ces choix sont toujours élaborés de manière dynamique en prenant appui les uns sur les autres. Reste que la direction d’ensemble était d’aller contre le réalisme spatial du son, y compris et surtout dans les scènes de dialogue. On entend peu d’écho et de réverbération, et les dialogues peuvent sonner très proches alors que les personnages sont loin. C’est une obsession que j’ai depuis longtemps de faire sonner les voix humaines comme un murmure, y compris quand il y a une élévation de ton. Comme si tout devait être chanté à voix basse, la joie, la colère et la tristesse. Un film, ça se chante aussi dans la tête, au fond d’un lit.
Pourquoi avez-vous choisi de créer cet effet de compartimentation des séquences, est-ce pour renforcer le sentiment d’alternance de jours et de nuits ? Aussi, comment avez-vous travaillé le rythme de Cinq nuits ?
Cette compartimentation comme vous dites tient avant tout à un choix d’avancer par ellipses successives : les habituelles scènes de liaison ne sont pas filmées, toujours laissées dans le hors champ, pour contribuer à un vaste effet de déréalisation des évènements. Je voulais qu’on ait constamment le sentiment que ce qui est filmé le soit du point de vue de son personnage principal ou de celui de la petite fille, y compris quand la scène donne l’apparence d’être objective, par sa simplicité et son découpage. L’idée était que la tonalité fantastique du film se poursuive et même se creuse dans des scènes d’apparence anodines. Qu’à la fin, on ne sache plus au juste ce qui est rêvé et ce qui est vécu, que chaque scène puisse être la doublure imaginaire d’une autre. Cela implique de mettre à plat l’ensemble des scènes, au risque d’un rythme un peu anti-dramaturgique.
Vous questionnez dans Cinq nuits à la fois une paternité, une filiation et une fraternité du personnage principal, qu’est-ce qui vous intéressait dans la confrontation de ces liens affectifs ?
Je ne questionne pas, à proprement parler, ces liens. Je m’en sers comme d’un nœud de confusions pour le personnage principal : la mort du grand-père ranime chez Simon le souvenir de sa fille mais en provoquant des courts-circuits émotionnels, comme si tout cela réveillait une culpabilité enfouie, probablement sans fondement mais réelle, qui appelait une sorte de réparation. D’où cette confrontation avec sa sœur sur la question de l’héritage mémoriel du grand-père : Simon défend une éthique privée et familiale tandis que sa sœur s’attache à une éthique plus générale et historique. Mais Simon mélange un peu tout, il faut bien le dire. Comme souvent, lorsque on souffre mal, c’est à dire trop, on s’agite pour de mauvaises raisons, et on rate les bonnes.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Un film sorti récemment, mais découvert à La Quinzaine des Réalisateurs à Cannes : Neruda, de Pablo Larrain. L’imaginaire comme le moteur malicieux du réel, la folie créatrice, la sensualité de ses scènes et le vacillement identitaire de ses personnages, l’immensité de ses paysages comme un écrin à l’obstinée petite angoisse de notre présence au monde… J’aime qu’un film se présente comme un coup de canon, mélangeant le haut et le bas, les références culturelles obscures et les sensations les plus crues, sans compter sa dépense, en fourguant des tonnes et des tonnes de fantasmes à travers une grande fête sonore et visuelle. Qu’il demeure une énigme singulière, dévoilée pour soi seul, à travers l’universalité de son spectacle.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
J’étais venu en 2013 pour présenter un premier court métrage, Hotel Cervantes. Une œuvre assez différente de Cinq nuits, presque sans scènes jouées. À la première projection, j’ai entendu un spectateur derrière moi souffler « c’est pas du cinéma, ça ». Le lendemain, je recevais un petit mot dans mon casier d’un autre spectateur qui m’écrivait très gentiment que c’était pour ce genre de film qu’il aimait se trouver dans une salle. J’espère donc que le festival me prêtera encore un casier cette année.
Pour voir Cinq nuits, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.